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Refus de témoigner

Refus de témoigner

Titel: Refus de témoigner Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ruth Klüger
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qu’il m’a rendu service, je le fais, je mens, ça m’est égal, je
ne lui dois rien. Surtout pas la vérité. Il fait pression sur moi, oui, les
examens me posent moins de problèmes maintenant – en fait, je n’avais pas eu d’examen
depuis la dernière séance. Il demande que je lui exprime des remerciements, pourquoi
pas, je remercie. Je n’ai plus jamais porté le bonnet de chez Woolworth et je
poursuis tête nue mes promenades de nuit dans Manhattan.
    Je me demandais si on pouvait se noyer dans un fleuve comme
l’Hudson quand on avait appris à nager dans un fleuve comme le Danube. Je me
disais aussi que l’Hudson était très sale. Je trébuchais ainsi de jour en jour,
traînant avec moi mon instabilité psychique et mes idées de suicide. Apprendre
était un remède, lire une planche de salut. Cela dura encore un certain temps.
    Les états dépressifs ont aussi leur bon côté. Ils offrent un
moyen sûr contre la peur de la mort. Ou bien on a peur de disparaître, ou bien
on le souhaite, au contraire. Les deux à la fois, ce n’est pas possible. Cette
maladie infantile était donc surmontée. L’une a guéri l’autre. Une cure de
cheval, certes, mais on reste vacciné, même par la suite. Il y aura encore des
états dépressifs, je m’y attends. Mais la peur de la mort peut gâcher la vie si
fondamentalement que je préfère parfois tourner en rond pendant des jours dans
un état de léthargie avec le sentiment que bouger, ne serait-ce que le petit
doigt, n’a absolument aucun sens.
    À quel point ce monsieur Fessler m’a marquée ! Je ne
suis allée le voir que trois ou quatre fois, et il est mort depuis longtemps. Pourtant
j’éprouve toujours cette aversion profonde, je me révolte chaque fois que je
pense à lui, alors que j’ai un souvenir reconnaissant de certains enseignants
du College, aujourd’hui disparus, qui n’ont rien fait d’autre pour moi
que m’enseigner quelque chose. Lazi Fessler, c’était pour moi (mais l’idée me
vient seulement maintenant) comme si les nazis avaient accédé à une autorité
intellectuelle qu’ils n’avaient jamais eue à mes yeux en Allemagne : il y
avait là quelqu’un qui ne m’accordait aucune valeur (et cela n’implique-t-il
pas la mort, une condamnation à mort ?) et dont le timbre ressemblait
pourtant à celui de mon père.
    Le pire c’est qu’il me déniait mes capacités d’amitié.

V
    À Vermont, on pouvait suivre des cours d’été qui étaient
pris en compte par le Hunter College. L’été 1949, au foyer d’étudiantes, je
partageai une chambre avec une fille qui ornait son lit d’animaux en peluche, c’était
la mode, pour souligner le côté femme-enfant, le côté tendre de leur
propriétaire. Celle-ci était une représentante typique des années cinquante à
venir, son but était de trouver un bon parti et de devenir une bonne maîtresse
de maison, ce qui n’est pas déshonorant, mais ce n’était pas mon genre. À sa
question pour savoir de quelle nationalité j’étais, je donnai la seule réponse
possible et dis être juive, née en Autriche.
    Alors j’étais tout simplement autrichienne, constata-t-elle,
ma confession n’avait rien à voir avec ma nationalité. Rien, ai-je dû concéder,
depuis que la guerre était finie, je pouvais me procurer un passeport
autrichien, il y avait néanmoins une différence.
    À quoi elle répond, avec les œillères de l’Américaine
tolérante, et par-dessus le marché fière de sa connaissance de la constitution :
« On ne raisonne pas comme ça aux États-Unis. Chez nous l’Église et l’État
sont séparés. »
    Je réplique avec une impatience frisant le désespoir :
« Je sais bien, c’est pour ça que je suis ici. J’espère même dans quelques
années obtenir la nationalité américaine. J’ai fait la demande et j’ai déjà les first papers. »
    Comme elle était pleine de bonne volonté, je m’abstins de
lui expliquer pourquoi j’avais laissé tomber l’étudiant avec qui elle était
parvenue à me persuader de sortir. Il m’avait raconté que ses camarades et lui
avaient abattu des prisonniers de guerre allemands quand il était trop
compliqué de les faire suivre. Comme je réagis négativement et qu’il ne s’y
attendait pas, il reconnut que c’était une infraction, mais uniquement aux
règles d’Eisenhower – il restait quand même un héros.
    Je me retirai dans la jolie bibliothèque, même si elle n’était
pas très bien pourvue,

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