Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Refus de témoigner

Refus de témoigner

Titel: Refus de témoigner Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ruth Klüger
Vom Netzwerk:
panique de ces maudits examens, alors qu’ils n’étaient même pas
difficiles. Il me demanda si j’avais des amis. Pas encore, pas un vrai cercle d’amis,
répondis-je d’un air sombre. C’était le premier semestre, il faut un peu de
temps. Il avait trouvé son point d’ancrage. Mon refus de m’adapter, mon orgueil.
Non, non, dis-je, cherchant à repousser le reproche, je ne suis pas arrogante. En
fait, je n’ai pas encore compris qu’ici, ce n’est pas moi qui dis qui je suis.
    En toute confiance, je raconte à ce Lazi Fessler ce qui se
passe à la maison, les heurts constants avec ma mère, qui trouve toujours à
redire à ce que je fais, ne me laisse pas une minute en paix, et porte un
jugement négatif sur chacun de mes actes. Quand elle a des visites, elle ne me permet
pas de me retirer discrètement (il est vrai qu’il n’y a pas beaucoup de place
dans notre appartement, mais il y a quand même deux pièces) ; elle se
moque de moi devant ses hôtes, et quand je dis qu’il faut que je travaille, que
j’étudie, elle s’empresse d’objecter qu’étudier n’est pas travailler, que je ne
travaille pas : c’est elle qui travaille pour moi. C’est pourquoi je n’aime
pas trop rester avec elle, et je sors le plus souvent possible, je vais à la
bibliothèque, au musée, me promener. Elle prétend que je lis trop de livres et
voudrait que je me trouve un boy friend attitré avec qui je sortirais, ce
dont je n’ai pour ma part aucune envie. Et si j’en choisissais un, elle ne lui
trouverait que des défauts. (Du reste, au Hunter College, nous n’avions guère l’occasion
d’entrer en contact avec des hommes, il a fallu attendre un peu plus tard. Pour
moi, ça a été une bonne chose, mon équilibre psychique était déjà assez menacé.)
Je dis aussi qu’elle interprétait tout à mon désavantage, elle prenait une
plaisanterie au sérieux, accordait un poids qu’il ne fallait pas à une remarque
sans importance. Ce que je disais s’en trouvait déformé de telle sorte que je n’avais
plus envie de parler avec elle, ce qui de nouveau la contrariait. Elle
cherchait des secrets là où il n’y en avait pas. Que me conseillait-il pour
apporter un meilleur équilibre à cette vie commune ?
    Auparavant, je m’étais promis de lui en imposer en parlant
objectivement, sans larmoyer, en conservant la maîtrise de moi, je ferais
preuve d’une pensée claire. Car si j’arrivais à effacer la première mauvaise
impression qu’il avait eue de moi quand il était venu nous voir, il serait
peut-être plus disposé à des conversations personnelles. Par exemple, il me
dirait peut-être ce qu’avait été son amitié avec mon père. À quoi mon père s’intéressait
quand il était étudiant. Des questions de ce genre. Le médecin était assis
derrière un immense bureau, qui me parut sans doute encore plus grand qu’il n’était,
et il me pria de m’asseoir sur une chaise, face à lui, légèrement sur le côté, dans
le coin de la pièce, à la plus grande distance possible de lui.
    Je n’avais pas remarqué que mes considérations « objectives »
le mettaient de plus en plus en colère, et j’eus donc l’impression de recevoir
une gifle lorsqu’il dit, pour décharger sa bile, avec une indignation réelle ou
feinte : « Vous prenez votre mère pour une vache ? » Je
peux citer la formule exacte, parce qu’elle était totalement inattendue. Rien
ne m’était plus étranger que d’insulter un être humain en le traitant d’animal,
et surtout pas ma mère. Précisément à cause des camps, j’étais très sensible
aux grossièretés du langage, j’avais tendance à prendre la langue au mot. En
Autriche, on dit souvent, quand quelqu’un vous énerve, « que le diable l’emporte ! »
Je crois entendre une véritable malédiction et je cherche tout de suite dans
les parages le chaudron de sorcière où nagerait une boucle de cheveux ou une
paire de chaussettes de la victime pour que le mauvais sort s’accomplisse. Je
ne pensais pas que ma mère fût bête, il avait tort de m’attribuer cette idée. Je
flairais le danger. Les malentendus se multipliaient manifestement, or ma
question avait été justement de savoir « pourquoi tous ces malentendus ? ».
    La séance était terminée, j’appris les règles du jeu, l’histoire
des cinquante minutes, ni plus, ni moins. Je repartis avec un devoir à faire à
la maison ! La semaine suivante, il faudrait que je confesse

Weitere Kostenlose Bücher