Remède pour un charlatan
paraissaient secondaires. Ils sont parfois très révélateurs.
— Vous avez peut-être raison, dit le négociant d’un air dubitatif. Je ne pense pas que cet individu ait beaucoup à nous apprendre, mais je ne refuse pas de l’aider de mon mieux.
La convocation de l’évêque, le lendemain matin, fut assez péremptoire, à la limite de la grossièreté.
— Isaac, mon ami, fit Berenguer d’une voix chargée d’inquiétude, merci d’être venu si promptement. Et avant que vous ne preniez place, je dois vous avertir qu’il nous faut sortir par cette froide matinée. Au séminaire.
— Quelqu’un est malade ?
— Bien entendu que quelqu’un est malade, dit l’évêque, irrité.
Sa goutte le faisait encore souffrir et il était de mauvaise humeur. Il se leva et prit sa canne.
— Avez-vous votre panier d’herbes et de remèdes ? Ou dois-je envoyer quelqu’un ?
— Yusuf et Raquel attendent patiemment avec mon panier. Je crains cependant qu’il soit encombré de remèdes contre la goutte. Et c’est tant mieux, car j’entends à votre voix que vous en avez encore besoin. Mais il y a aussi d’autres mixtures, et Yusuf peut aller chercher ce qui manque. Que pouvez-vous me dire de cette maladie ?
— Pas grand-chose, mais le malade est un séminariste dont la santé se montre défaillante depuis deux ou trois semaines. Nul n’a songé à me prévenir, ajouta-t-il avec vivacité, même si cela fait plusieurs semaines que nous avons des problèmes avec les séminaristes. Il a maigri et n’a pas d’appétit pour la nourriture. Le pire, Isaac, c’est que c’est le fils d’un riche et honnête paroissien et je ne veux pas d’une seconde mort mystérieuse. Une seule me suffit, avec cet insensé de Ramon qui ne cesse de parler de sorcellerie à qui veut l’entendre. Aïe ! fit-il en heurtant son pied de sa canne.
— Pas une seconde mort, corrigea Isaac, mais une troisième. Il y en a eu une dans notre quartier – Aaron, le fils de Mossé, le boulanger.
— C’est vrai, fit l’évêque d’un ton radouci. Je ne pensais qu’à mes propres ouailles.
— De plus, Votre Excellence, le premier mort, Aaron, était l’ami et le compagnon de beuverie du deuxième, le jeune Marc, le fils du tisserand. Un troisième buvait avec eux, un séminariste. Comment se nomme votre malade ? Lorens ?
— J’aurais aimé vous entendre prononcer un autre nom. C’est bien de Lorens qu’il s’agit.
Ils retrouvèrent Raquel et Yusuf au pied des escaliers et traversèrent en silence la place des Apôtres en direction du séminaire.
L’évêque frappa une fois à la porte et l’ouvrit, révélant une minuscule chambre à coucher où il y avait à peine assez de place pour un lit, une petite table et un haut tabouret, ainsi que, à la tête du lit, une étagère portant quelques livres. Une croix de bois toute simple était accrochée au mur, au-dessus de la table ; sous elle, un bougeoir et une coupelle de cuivre. Sur une patère, au pied du lit, étaient accrochées une cape, une chemise propre et une tunique. Un jeune homme pâle et émacié était allongé sur le lit ; ses yeux portaient des cernes noirs, témoins silencieux de ses nuits agitées. Raquel avait relevé son voile pour l’observer plus attentivement, car les volets étaient fermés et peu de lumière pénétrait dans la pièce. Elle murmura ses observations à l’oreille de son père tout en vidant sur la table le contenu de son panier.
— Que diable… commença Lorens d’une voix pâteuse avant de comprendre qui se trouvait dans sa chambre. Votre Excellence, murmura-t-il avant de se redresser.
— Voici le jeune Lorens Manet, maître Isaac, dit Berenguer. Lorens, nous avons fait venir le médecin pour qu’il prenne soin de vous.
— Je n’ai pas besoin de médecin, protesta Lorens en hésitant sur chaque mot. Je me sens très bien.
— Alors que faites-vous couché à cette heure ? demanda l’évêque.
— Je me lève tout de suite, Votre Excellence, dit le jeune homme en posant les pieds sur le sol. J’ai eu une faiblesse passagère, rien de plus.
— Ridicule ! fit l’évêque. Vous ressemblez à votre propre fantôme. Remettez-vous au lit.
— Je vais fort bien, Votre Excellence, répéta-t-il. Seulement j’ai jeûné ces derniers jours, et j’ai veillé toute la nuit. J’ai prié pour le salut de mon âme et celui de l’âme de deux amis… deux relations récemment décédées
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