Remède pour un charlatan
menace. Et il doit être mis au courant.
— C’est pourquoi, voyez-vous, Votre Excellence, dit le médecin, j’ai pensé que vous deviez immédiatement être prévenu de cela.
Il prit la lettre, pliée telle qu’elle l’était quand Yusuf l’avait trouvée, et la tendit à l’évêque.
— Je dois demander votre indulgence pour mon petit apprenti. Il avoue très franchement que ce papier est tombé de votre livre et qu’il l’ouvrait quand vous êtes entré dans la pièce. Apeuré et honteux, il l’a glissé dans sa tunique et l’a oublié jusqu’à son retour à la maison.
— J’aimerais pouvoir instiller un tel sentiment de crainte et de culpabilité chez certaines de mes ouailles, dit Berenguer avant de se consacrer à la lettre.
Il la lut, la jeta sur la table, puis la reprit.
— Quelle folie ! Quelles pernicieuses absurdités ces charlatans élaborent-ils pour tisser leurs toiles ! Un vœu ! Quel fou que cet enfant ! Que lui a-t-il pris de prononcer un vœu ? En dehors de ses vœux religieux, bien sûr, et encore, il n’était pas prêt pour eux. Oh, Isaac, ces enfants… Ils se croient des hommes parce que la barbe leur pousse au menton, mais ce sont toujours des enfants, et de bien des façons.
— C’est la menace qui m’a intéressé, dit Isaac.
— Ce n’est qu’une partie du tout. S’il n’avait pas prononcé ce stupide vœu auquel on fait allusion ici, ce monstre n’aurait pas eu d’arme pour le menacer, n’est-ce pas ? Isaac, vous ne pouvez imaginer les serments absurdes que peuvent faire les jeunes gens qui ont un idéal : ils promettent de jeûner jusqu’à ce qu’ils aient accompli quelque tâche impossible, et nous les trouvons au lit, à demi morts de faim.
— Les jeunes filles aussi, sans aucun doute ? murmura Isaac.
— Sans aucun doute, mais c’est dame Elicsenda, au couvent, qui est chargée de s’en occuper. Et elle se montre fort sévère avec elles, jusqu’à ce qu’elles cessent leurs enfantillages.
Il reprit la lettre et la lut plus attentivement.
— Et l’arabe ? Qu’en faites-vous ?
— Il semble que ce soit une liste de commissions, recopiée d’une main malhabile, expliqua Isaac. C’est du moins ce que dit Yusuf. Mais Votre Excellence lit la langue mauresque, n’est-ce pas ?
— Je peux la déchiffrer. Mais pas aussi bien que vous quand vous jouissiez encore de la vue.
Il scruta le papier.
— Par tout ce qui est saint ! s’écria-t-il. Je peux lire ceci. Et le garçon a raison. Du poisson.
— Des amandes et des figues. Yusuf a suggéré qu’il pouvait s’agir d’un langage codé – mais je crois qu’il s’amusait à nos dépens.
— Il y a une chose réconfortante dans cette lettre. Je pense que vous l’avez remarquée.
— Elle laisse supposer que les trois jeunes hommes étaient seuls dans leur quête, guidés par l’auteur de cette lettre.
— Lequel a dû les dépouiller du moindre sou qu’ils pouvaient extorquer à leurs familles, ajouta Berenguer. Mais je vais demander à Francesc ce qu’il a découvert auprès des séminaristes.
— J’ai fait venir Bertran, Votre Excellence, dit Francesc Monterranes, chanoine et vicaire général de l’évêque lorsque celui-ci visitait des paroisses lointaines. Il pourra nous parler de ce qui se passe au séminaire. Je n’ai nul désir d’éveiller le doute et la spéculation parmi les étudiants en les questionnant l’un après l’autre.
— Voilà qui est, comme toujours, sagement pensé, Francesc. Alors, cousin Bertran, qu’avez-vous entendu durant cette quinzaine où vous avez laissé traîner vos oreilles ?
— Bien des choses, monseigneur, mais des choses de peu d’importance. Comme vous l’imaginiez, une grande partie du mécontentement est due au remplacement du père Miquel, qui était très aimé, par le père Garcia, qui devrait être un ange venu du ciel pour arriver à la hauteur de son prédécesseur. Les nouveaux étudiants, ceux qui ne connaissaient pas le père Miquel, admirent le père Garcia. Les autres doléances ont pour objet la nourriture, qui est horrible, le temps de récréation, trop court, et le temps d’étude, trop long. Je les ignorerais, dit-il avec la sagesse d’un homme de vingt ans à l’égard de garçons de quinze ans. Quoi que l’on fasse, ils ne seront jamais satisfaits.
— Vous m’aviez parlé d’un groupe intérieur, un nid de conspirateurs, pour ainsi dire.
— Oui, et
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