Remède pour un charlatan
ils existent bel et bien. Six garçons, quoique l’un d’eux doute déjà de leur cause. Ils ne s’intéressent pas à la religion…
— Inutile de me le préciser, fit l’évêque.
— Ils forment un groupe politique. Ce sont des garçons dont les familles ont penché vers l’éventuel usurpateur lors du soulèvement, pas assez publiquement pour être châtiées toutefois, mais chez qui le manque de loyauté doit être surveillé en permanence.
Ce n’était plus le futur ecclésiastique qui parlait, mais le jeune soldat.
— C’est l’âge où l’on se rebelle, dit l’évêque. Quinze ans… Mais ce groupe sera dissous, et ils seront soumis à surveillance pour s’assurer qu’ils ne persistent pas dans leur déloyauté. Pourtant tout cela ne nous dit rien de Lorens Manet.
— Lorens Manet ? On ne m’a pas précisé qu’il fallait enquêter sur lui, dit Bertran avec raideur, sinon je lui aurais consacré une partie de mon temps.
Il était visiblement ennuyé que son rapport fût si éloigné de l’intérêt de son cousin.
— Vous ne pouviez le savoir, Bertran, ce n’est que ce matin que nous avons compris toute l’importance de ce garçon.
Bertran réfléchit avant de reprendre la parole, parlant avec lenteur tandis qu’il mettait de l’ordre dans ce qu’il savait.
— Lorens avait quelques amis, me semble-t-il – non, quelques connaissances parmi les étudiants, mais pas de véritables amis. Il n’était pas comme les autres garçons, séminaristes ou pas, qui parlent grossièrement des femmes et se plaisent à boire jusqu’à sombrer dans l’inconscience.
— Vous me surprenez, fit Berenguer, sardonique.
Bertran s’inclina pour s’excuser d’avoir eu l’effronterie de donner une leçon sur la nature fondamentale des jeunes gens.
— Ce que vous savez, bien entendu, dit-il avant de revenir à son sujet. Par hasard, je pense avoir rencontré ses deux seuls amis. J’ai bu un jour un peu de vin en leur compagnie. Deux jeunes hommes graves, extérieurs au séminaire, qui le retrouvaient chez Rodrigue pour parler d’écriture, de philosophie et de la nature de la beauté.
— Ces jeunes hommes s’appelaient Marc et Aaron, c’est cela ?
— Effectivement, monseigneur. Je ne suis pas resté longtemps, mais vous pourriez leur demander de quoi ils débattaient.
— Ce serait difficile, mon cousin. Ils sont morts tous deux.
— Tous deux ? répéta Bertran, très étonné.
— Oui, dit Berenguer. Ainsi que Lorens Manet. Ce matin même. Et maintenant ces trois garçons sont au-delà de tout interrogatoire.
— Morts ? Tous les trois ? J’ai du mal à y croire. Je demande votre indulgence, Votre Excellence. Cette nouvelle m’a ébranlé. C’étaient d’agréables jeunes gens, ajouta-t-il avant de prendre le temps de la réflexion. La première fois que je les ai vus ensemble, dit-il enfin, c’était il y a six semaines – dans le pré, ils écoutaient avec beaucoup d’attention un prédicateur qui prétendait détenir la sagesse et les secrets des Mages. Je me suis montré curieux, je l’admets, et je les ai suivis quand ils sont allés trouver le maître…
— Son nom ?
— Il se fait appeler Guillem de Montpellier. Ils lui ont demandé s’il donnait des cours particuliers. Il a paru intéressé et il leur a indiqué un prix. Plus tard, chez Rodrigue, ils sont convenus que maître Guillem réclamait plus qu’ils ne pourraient jamais donner. Mais d’autres affaires m’attendaient, et je les ai laissés là.
— Il ne semble donc pas probable qu’ils soient devenus les élèves de maître Guillem, intervint Francesc. Ce qui signifie qu’il n’est certainement pas l’auteur de cette lettre.
— À moins qu’ils ne l’aient convaincu de dispenser son enseignement à moindre coût, opposa l’évêque.
— D’après ce que j’ai compris, reprit Bertran, l’argent dont ils disposaient et ses exigences étaient fort éloignés. Ils avaient déjà du mal à s’offrir la piquette de Rodrigue.
— Cela indique qu’ils étaient en quête d’un professeur, murmura Isaac. Si ce n’est ce maître Guillem, ce sera quelque autre charlatan. Et, pendant un moment, ils ont disposé d’une source de revenus.
— Laquelle ? demanda l’évêque.
— Je crains qu’Aaron n’ait puisé dans le coffre de son père pour régler le vin et peut-être les leçons de maître Guillem, mais il est mort. Qu’ont-ils fait ensuite ?
— Et
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