Requiem pour Yves Saint Laurent
un créateur avait convoqué toute l’équipe de vente à 1 heure de matin, pour donner une
leçon de merchandising . Une femme qui était venue avec son fils de quatre ans, pleurant et somnolent, se vit reprocher de n’avoir pas laissé sa marmaille à la maison. Certaines griffes en vogue refusaient de prêter un vêtement à une actrice ou un magazine dont l’image n’était pas assez « conforme ».
Fragiles, inquiets, trahis par leurs pupilles ou leur transpiration excessive, ils infligeaient à leur entourage un comportement agité, paranoïaque. Ils se découvraient des allergies subites, imposaient aux ateliers des essayages la nuit, insultaient des assistantes en pleurs, obligeaient des orphelins à revenir travailler le jour de l’enterrement de leur père. La direction les envoyait au vert… Ils étaient officiellement invisibles. Payés comme des stars, ils subissaient les revers les plus humiliants, parfois même de la part de leur président, trouvant dans ces descentes l’ultime occasion d’exercer le pouvoir qui leur échappait de toutes parts. La cause était entendue. De leurs cures de rehab , les créateurs se devaient de revenir amincis, détoxifiés, lissés, éco-conscients. Même Alexander McQueen
lisait le Financial Times . Ils avaient moins d’amants que d’ostéopathes, de physiothérapeutes, d’acupuncteurs, de nutritionnistes, de sophrologues. Une coûteuse armée de professionnels du mieux-survivre leur laissait à peine le temps de « valider » la collection réalisée par le directeur du studio en cas de crise majeure, et « éditée » par une consultante ne voyageant qu’en first . Nombre de créateurs de mode ne dessinaient plus, il y avait des techniciens pour cela. Les assistants n’allaient plus en bibliothèque, ou dans les musées, ils googlisaient .
D’idéal, l’esthétique était devenue une spécialité à multiples facettes. Les anciennes clientes avaient déserté les salons lambrissés des maisons de couture pour les cliniques aux allures de galeries d’art, dans lesquelles le chirurgien exposait le plus souvent ses propres œuvres. C’est sous la peau que ces femmes trop gâtées se faisaient broder des fils d’or, attentives à entrer dans le corps des maîtresses qui leur avaient raflé époux et budget dépenses illimité à Saint-Moritz ou Saint-Barth. Peelings aux
AHA, injections de Macrolane dans les seins, elles ne juraient désormais que par le « sans bistouri », les jeans Notify et les doudounes Moncler, qu’elles semblaient avoir assorties à leurs lèvres trop repulpées. A 11 heures elles émergeaient de leur queen size bed pour une séance d’elliptique au Ken Club. Elles déjeunaient à l’Avenue, et la journée commençait. Elles étaient infidèles, elles n’avaient plus de couturier attitré, le shopping était avant tout compulsif, c’était désormais dans les dépôts-ventes de luxe et les soldes privées qu’elles « bouffaient » littéralement de la mode, avec l’estomac dans les talons et la peur au ventre : croiser une rivale. Une de celles qui leur avaient lancé chez Zouari, la veille : « J’adore cette coiffure. Tu es sublime, méconnaissable ! »
Comme la médecine, la mode vivait à l’heure de l’implantologie. De nouveaux métiers étaient apparus. Ambianceurs engagés pour leurs « bonnes relations avec Carine » (Roitfeld). Epilatrice de sourcils free lance , responsable VIP dans les maisons de prêt-à-porter, ou pédicure jet-set, ils tutoyaient les stars, ils étaient incontournables. Ils voyageaient
énormément, achetaient beaucoup de magazines à l’aéroport qu’ils réglaient avec leur carte de crédit « pro ». Ils avaient tellement de miles, que c’est avec leur chien qu’ils les partageaient. A l’arrivée, personne ne les attendait, sauf un chauffeur. Il n’y avait plus de limite, plus de sanction. Les femmes furent les premières à faire les frais de cette flambée d’incompétence éclipsée par les bruits de la fête. « Si tu continues, je te claque ma dem. » Elles travaillaient le soir, le week-end. Pour s’entendre dire le lundi : « Madame a son bad day ? Fin de plaquette… »
Tout ce qui relevait de la chair était un peu tabou. On redoutait les défauts physiques. Le passé, c’était du gras, à l’image des bourrelets que les anciennes clientes tentaient d’effacer à coups de liposuccion et de séances de Cellu M6. Les marâtres
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