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Requiem pour Yves Saint Laurent

Requiem pour Yves Saint Laurent

Titel: Requiem pour Yves Saint Laurent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Benaïm
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« Schläppi » (le nom de la marque), semblaient fixer un point imaginaire. Je suis revenue souvent là, me recueillir à l’intérieur du temple bleu et vert, un décor dans le décor, où cette grande cape brodée de bougainvillées inondait les cafetans de sa lumière. Rien ne me semblait plus vrai que ce faux-là.
    Une semaine après les obsèques, je revins à l’église Saint-Roch. Du jardin griffé Moulié ne restait que ce parvis, jonché de détritus, avec des canettes de bière 1664 vides. A l’intérieur, les jasmins et les lys Casablanca avaient disparu. Tout comme les chaises de bois doré à coussin rouge, sans doute louées chez Catillon, le jour J. « Mais elles ne font pas partie de l’église », m’avait fait remarquer une professionnelle des plateaux télé, habituée aux décors modulables et reconstitués. Une femme sans visage rangeait des chaises en plastique d’un vilain jaune. Des touristes photographiaient le lieu, le pas traînant de Crocs roses. L’usine
de sabots en plastique était paraît-il au bord de la faillite, car ils étaient inusables. Après quatorze ans de ministère sacerdotal, le père Thierry de Lépine allait quitter Saint-Roch pour un nouveau ministère, dans le cadre du collège des Bernardins. Vêpres, diacres, séminaristes se préparaient à l’arrivée du pape Benoît XVI. La mort d’Yves Saint Laurent semblait déjà loin. « Mais pourquoi nous répète-t-on toutes les demi-heures qu’il avait révolutionné la vie féminine en inventant le smoking pour femmes ? Hormis ma concierge, je ne connais guère de femmes qui portent le smoking », glosa Le Monde . Sur les plateaux télé, les dernières femmes à porter le smoking étaient des héroïnes, je pense en particulier à ces militantes algériennes, laïques, qui défendaient la liberté contre les carcans de l’intégrisme.

    Les années quatre-vingt-dix avaient tout leur temps. Celles que nous vivions au jour le jour ne semblaient « purifiées » que par les prédicateurs, les imams et les gourous. Ils étaient les derniers remparts de la vertu face à la
société capitaliste festoyant autour de son veau d’or : le luxe.
    Cette saison-là, à Milan, les mannequins qui défilaient chez DSquared mimèrent des people surprises par des paparazzi, avec leur gobelet Starbucks et leurs robes de satin étranglées par un gros pull. Cash & trash. Brillant mix & match de soir et de jour, de vieux et de neuf, pour un éloge du système D tel qu’on le retrouvait sur les vidéos amateurs de YouTube. A l’aéroport, sur le chemin du retour, la vision de ces mannequins aux jambes pas plus épaisses que des bras, vous faisait frémir. L’euphorie se brisait, comme un composite (classeur de photos de mannequin) jeté à la rue par un booker en colère. Rien n’advenait désormais sans contrat, sans agent, sans contrôle.
    En juillet 2008, la semaine de la haute couture s’acheva un jour de lune noire. De vestes de toréador en pourpoints d’escrimeuse, de serre-taille en cols boule, jamais le corps ne me sembla autant comprimé. Les effets 3D avaient eu raison du trait, hier modélisé par les tailleurs sous forme de toile, désormais réduits à des effets de
volume. Là où, de croquis en essayages, d’épingles en tracés millimétrés, le vêtement n’était « fini » qu’une fois porté, il semblait souvent se suffire à lui-même, armuré, compact, prêt à être exposé, flashé.
    L’invisible Martin Margiela alla jusqu’à présenter sur des mannequins au corps intégralement gainé d’une combinaison noire type Fantômas, une collection de « ready made » artisanaux comme cette robe composée de disques 45-tours chauffés pour être moulés sur le corps. A un moment donné, l’attachée de presse nous demanda si nous n’étions pas cardiaques. Un assistant en blouse blanche planta une aiguille dans le boléro doudoune en ballons. La matière s’échappait pour ne laisser que la trace d’une vision, d’un instant en décomposition. Partout quelque chose s’échappait, c’était ce corps qu’il fallait contenir, tel un oiseau un peu maléfique déployé par Jean Paul Gaultier dans des cottes de mailles en héron cendré, ou des robes dont les manches «  choutées  », évoquaient les deux ailes d’un aigle royal. D’un buste cage « mannequin d’osier », au trench de crocodile, le fils illégitime d’Yves
Saint Laurent retrouvait le portrait de ses

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