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Requiem pour Yves Saint Laurent

Requiem pour Yves Saint Laurent

Titel: Requiem pour Yves Saint Laurent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Benaïm
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d’un café parisien, elle renvoie l’image de ce qu’elle n’a jamais cessé d’être, cette reine au sang mêlé qui, sur ses escarpins en crocodile, semblait
avancer pieds nus vers le soleil, aussi parée que nue sous un smoking de grain de poudre « khôl », une blouse de cigaline « Macassar » ou une robe de mousseline « savane ».
    Je me souviens de ces mannequins dont il savait immédiatement capter la lumière, en intensifiant ce qu’elles avaient d’unique, une chevelure rousse, un nez d’oiseau de proie, un profil d’idole. Je revois ces photos de Violeta Sanchez par François-Marie Banier, le visage revoilé de tulle point d’esprit. Elle et les autres ressemblaient tant à ses croquis, qu’on avait l’impression qu’il les avait dessinées pour les faire apparaître. Or c’est leur présence qui l’inspirait. Les blondes redevenaient des héroïnes un peu glacées, il semblait avoir caressé, senti, adoré toutes les peaux. Je revois Laetitia Casta, au corps semé de roses, puis en tailleur de shantung, apparue à son bras, en mariée, au final Yves Saint Laurent haute couture du printemps-été 2001. « Nous sommes amants », lui avait-il écrit en marge du croquis. Le studio trouvait « qu’elle n’entrait dans rien ». Sous son canotier de paille, elle lui souriait, elle l’embrassa comme jamais un
mannequin ne l’avait embrassé. Il était comme un enfant. Je revois son visage tacheté de traces de baisers. Son corps déformé par tout ce qu’il avait enduré, ses chutes, ses déséquilibres, tout ce qu’il s’était infligé. Comment faisait-il pour être celui-là ? Celui dont les ouvrières disent encore : « Il n’est pas mort, parce qu’il est en moi. Avec son air malade, il devinait tout. »
    Yves Saint Laurent était de ceux qui voient, au fond de leur solitude, ce que les autres cachent. Il vous arrachait tout d’un simple regard. Il vous mettait à nu, face à vous-même. Il était parti, emportant avec lui ses secrets, mais pas ceux des femmes, ces êtres dont il avait habillé la différence. Les premières clientes s’appelaient Madame Jacques Fath, Edmonde Charles-Roux, la duchesse de Windsor. Jusqu’au bout, il y eut des « nouvelles », comme Inès de la Fressange ou Wendy Stark, pour la collection de 2002. Entre les deux, il y eu la terre entière. D’Elsa Schiaparelli qui s’était commandé trois robes de la collection 40 à Lauren Bacall, aussi éprise de pantalons couture YSL que Jane Fonda. Et puis toutes les autres. Celles qui ne
se souvenaient presque plus de la robe qu’elles portaient le jour J que de l’homme qu’elles avaient séduit. Il les avait habillées avec la force de son talent, l’éclat de ses couleurs, de ses robes, comme des lignes mouvantes, des souffles d’amour. Il ne les avait pas « libérées », au sens où il savait trop bien qu’elles n’attendaient pas d’un couturier qu’il desserre des verrous. Il avait habillé leur capacité à être toutes en une seule. Il avait permis à certaines de se trouver. « Il m’a offert mon plus beau rôle », dit encore Laetitia Casta.
    Il avait dessiné des costumes-pantalons, comme des boucliers de grains de poudre, pour affronter le jour. Et des fourreaux soyeux, s’ouvrant sur une jambe immense voilée de noir, avec des escarpins de satin. Pour faire de la nuit, la promesse de toutes les nuits. Des nuits désormais solitaires passées devant la télé, un livret de sudoku, ou l’écran de leur ordinateur, quand elles avaient décidé de vendre des petits vestiges YSL sur eBay.
    Un soir, lors d’un dîner « non placé », je fis la connaissance d’une femme qui m’intrigua. Elle me parlait de ses robes Saint Laurent, encore
ensorcelées du souvenir de ses conquêtes, elle portait une robe-chemisier et une veste aux épaules reconnaissable entre toutes, j’aimais le frottement léger de la mousseline contre le drap sec, l’armure sur la peau nue ; cet ensemble que d’aucuns auraient pu juger « démodé » reprenait vie dans ses gestes, sa façon de s’asseoir, d’extraire lentement son étui à cigarettes d’une pochette croco visiblement ancienne, j’aimais ses bas fumés cognac, ses escarpins de cuir, dont la cambrure arrondissait sa cheville, cette pénombre l’habillait, comme un parfum. Elle disparut, comme une fée.
    Les filles de la cinémathèque Saint Laurent avaient passé leur temps à s’inventer des personnages. Un

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