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Requiem pour Yves Saint Laurent

Requiem pour Yves Saint Laurent

Titel: Requiem pour Yves Saint Laurent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Benaïm
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ordre de ne livrer ce jour-là que des corbeilles de fleurs blanches. La rue était barrée. Nous étions à « cent mètres de la boutique Colette », comme le
rappelle Nathalie Rykiel. Sens du détail qui lui valut, entre tous, alors qu’elle avait demandé d’être assise à côté de sa mère, Sonia, la réponse de Pierre Bergé : « Ce n’est pas un défilé de mode ! 5  »
    Il y avait là Bernard Arnault, président de LVMH, François Pinault et son fils François-Henri Pinault, à la tête de PPR. Le premier rang était réservé aux invités d’honneur et aux proches. Chacun semblait vérifier son statut selon la place qui lui avait été accordée. Au message de peine que certains adressaient d’un sourire, s’ajoutait celui d’une légère pitié condescendante. Dans le fond, les anonymes, les revenants et les anciens semblaient s’agglutiner près des colonnes, on ne se disait pas « on déjeune bientôt », mais c’était tout comme. J’aperçus un ancien serveur du Flore devenu maître d’hôtel chez Prunier Madeleine – l’un des deux restaurants de Pierre Bergé – ; des visages incertains et familiers semblaient revoilés de brume, on tuait les minutes, dans ce jeu de piste visuel. « Tiens, sa psy, au bout à droite, tu la vois ? » J’avais l’impression d’être dans la chanson de Dalida, « c’est toi, Gigi ? ».
Pendant la diffusion du questionnaire de Proust, Agnès B., en manteau parme, arriva comme une fleur tombée d’un bouquet. Catherine Deneuve avait scénarisé son apparence à l’extrême, petit manteau « Belle de Jour », collants clairs, et gerbe de blé dans les bras, elle était la même qu’en 1966, le jour de l’inauguration de la première boutique rive gauche rue de Tournon.
    Mademoiselle Deneuve lut ce poème de Walt Whitman : « Sur le visage des hommes et des femmes, je vois Dieu. Si tu veux me revoir, cherche-moi sous tes pas… » Paris ce jour-là semblait rempli de tout ce qui faisait sa gloire et sa défaite, certains s’embrassant du regard, d’autres s’évitant. Pierre Bergé prit la parole. Ce n’était plus l’homme à la voix bourrue, le père fouettard de la haute couture, aussi aimant et fidèle envers ses proches, que redouté par le deuxième et le troisième cercle, toujours au bord de la grâce et de la disgrâce. La voix s’éleva, comme ensablée, anéantie, juste soutenue par ces mots qu’elle traçait d’une canne sonore : « Ce jour-là, tu as rencontré la gloire, et depuis, elle est toi. C’est la
dernière fois que je te parle. C’est à toi que je m’adresse. A toi qui ne m’entends pas. Ne me réponds pas. (…) Tu as quitté à jamais ce métier que tu avais tant servi. Tant aimé. Tu ne t’es jamais consolé 6 … »
    Entre le lion et le scorpion, qui sortirait vainqueur de cet ultime duel ? Sans doute, la vie, la nouvelle vie que Pierre Bergé le veuf allait choisir de mener, en vendant les maisons de Paris, Tanger, Benerville, les tableaux, les objets d’art, l’orfèvrerie, comme on change de ville, d’adresse, sans changer de nom, pour préférer à la poussière des souvenirs trop encombrants, l’invisible refuge de la mémoire. « C’est ton œuvre qui t’a permis de vivre. L’artiste est ainsi fait qu’il ne trouve salut et espoir que dans la création. Il va falloir te quitter maintenant et je ne sais comment faire. Je n’oublierai jamais ce que je te dois. Un jour, j’irai te rejoindre sous les palmiers marocains. Pour te quitter, je veux te dire mon respect, mon admiration, mon amour… »
    Un barrage s’était brisé. Une énorme vague submergea le public. Ces mots semblaient contenir tous les autres, enfouis pendant des
années sous les costumes ingrats du geôlier, de l’intendant revêche, du trouble-fête, du dirlo bourru, tous ces masques qui avaient fini par recouvrir l’esthète, le bibliophile, l’idéaliste, le chasseur de clowns tristes peints par Buffet ou Ensor, l’ami, en un mot l’homme blessé, auquel Yves Saint Laurent faussait une nouvelle fois compagnie. « Nous n’habitions plus ensemble, mais nous nous appelions tout le temps. Je lui consacrais mes week-ends. J’avais un vrai besoin d’Yves. Je ne pouvais m’en détacher. C’est peut-être névrotique. Je n’ai pas de difficulté à l’accepter. Je ne ferai croire à personne que nous avions des discussions passionnantes, mais c’était une présence 7 . »
    Des milliers de

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