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Requiem pour Yves Saint Laurent

Requiem pour Yves Saint Laurent

Titel: Requiem pour Yves Saint Laurent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Benaïm
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les paris.
    La valeur marchande de ces pièces me semblait bien plus abstraite que la violence de leur présence, décoiffée, déménagée, hirsute, ces regards que nous croisions, celui de la belle Violetta Sanchez, de tous ces « anciens » de la maison, bousculés par la foule qui se répandait, dans ces salons d’exposition aux doux noms d’Apollon, Ingres, Dusquenoy… «  Beautiful structure, terrific shadow…  » : un expert commentait pour un collectionneur, le Chirico situé à quelques mètres de l’ Enfant Bleu , de Goya, donné de son vivant au Louvre par Yves Saint Laurent. On reconnaissait les acheteurs potentiels à leur manière de tenir leur paire de lunettes d’écaille d’une seule main, de promener sous leur manteau de vigogne un catalogue de vente aux pages écornées. Les autres semblaient sous le choc,
quelque part entre l’émerveillement et le songe, le sentiment d’être là, au cœur d’un livre en 3D dont ils tournaient les pages géantes, invités miniatures de ce vaste appartement sans portes, sans autre refuge que cette pièce d’où provenaient la voix de la Callas et celle d’Yves Saint Laurent, répondant au questionnaire de Proust : « Le comble du bonheur ? Dormir avec les gens que j’aime. » Dans la salle où étaient notamment exposés les meubles de Jean-Michel Frank, il y avait son lit, ivre de ce corps absent qui semblait tout voir, tout deviner, se délecter en solitaire de cette glorieuse et impudique offense.
    J’aperçus Charlotte Aillaud, incandescente, Hélène Rochas, aussi droite qu’une danseuse, Betty Catroux, aux jambes plus télescopiques que jamais : « Quand je pense que j’ai vécu là pendant cent ans, en écrasant mes mégots dans ces cendriers en or, en marchant pieds nus… » Dans l’une des salles, les miroirs de Claude Lalanne m’évoquaient des nymphéas d’or, dont les reflets se perdaient au-dessus d’un piano Yamaha qui jouait Satie en boucle. Des
vigiles indiquaient un sens pour la visite. « Fais attention au tableau, là, c’est un Warhol… »
    Yves Saint Laurent avait offert à la bourgeoisie les couleurs des souks, transformant les salons en harems où les femmes se devaient d’être les plus belles, les plus désirées. Devant l’innombrable collection de torses, ceux de Mercure ou d’Athéna, je compris que le regard est un trésor, lorsqu’il révèle, tout en les chargeant d’une force supplémentaire, les secrets d’une vie, de ceux que Delacroix pouvait connaître, en écrivant : « C’est sur ce corps que j’apprends à lire. » Car dans cette tête du seizième siècle représentant Janus, autant que chez ce profil de jeune garçon signé Géricault, ne retrouvait-on pas le trait d’Yves Saint Laurent, ces femmes aux longs cous évoquant tout à la fois des divinités africaines et des éphèbes ? Les robes n’étaient plus là, mais elles étaient en lui, collées comme les drapés d’albâtre sur la chair de bronze de cette sublime Bacchante, ces Vénus qu’il semblait avoir habillées de nu. Dans cette Adoration des Mages , une tapisserie de Burne-Jones, il me sembla d’abord voir apparaître Amalia. Sans
doute, la force des artistes croît avec leur capacité à multiplier les mirages, à tendre des pièges.
    Le jour J arriva. C’était un mercredi, comme au temps des défilés Yves Saint Laurent haute couture. Dans les premiers rangs, je distinguai la silhouette de Bianca Jagger, assise à côté d’une grande collectionneuse, des patrons de presse badinaient avec le gratin. On vit des mains brandir des paddles numérotés, les enchères montaient, de centaines de milliers d’euros en millions. Personne n’osait se gratter la tête. « Ce n’est plus par vous, Monsieur, dans la salle. Pas de regret. »
    Cintré dans son smoking Yves Saint Laurent, François de Ricqlès fit claquer ses premiers coups de marteau. Madame LR grimpa jusqu’à 29 millions. Deuxième record mondial après Le Désespoir de Pierrot , vendu au téléphone 4,9 millions d’euros. L’ Eau de voilette de Marcel Duchamp se répandit comme l’élixir le plus cher du monde : 8,9 millions d’euros. Le lendemain, les chiffres illuminaient la verrière dans une pluie d’étoiles. «
 C’est à vous, Madame, contre tous les téléphones… »
    Daniella Luxembourg acheta « pour un client privé » un portrait d’homme de Frans Hals, 3,5 millions d’euros. Bien qu’on ait parlé de

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