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Requiem pour Yves Saint Laurent

Requiem pour Yves Saint Laurent

Titel: Requiem pour Yves Saint Laurent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Benaïm
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que les riches portaient des jeans déchirés, les concierges des palaces ne savaient plus très bien sur quel pied danser.
    La compétition tournait au drame. Une jeune accouchée se sanglait la taille jusqu’au sang pour montrer qu’elle était encore opérationnelle. Un éditeur de presse ruiné cherchait encore à vamper des financiers lors d’un ultime tour de table. Il leur vendait des « promesses de parutions » en échange de plusieurs centaines de milliers d’euros. Il n’avait pas payé son loyer depuis des mois, il en était réduit à vendre ses bijoux sur eBay. Pendant des années il avait fait vivre des tas de jeunes
gens, qui venaient lui déposer leur addition sur la table du Costes. C’est lui qui payait pour tout le monde. Cette fois, il était « noir ». Bancairement incorrect. Incapable d’honorer ses dettes, il était poursuivi par des fournisseurs ivres de tant de cynisme. Devant ses escargots à l’ail, l’un d’eux me lança : « Quelle tarlouze celui-là. Il m’a floué ! J’ai été couillonné comme un communiant. » La chasse aux sorcières avait commencé. Il fallait des boucs émissaires. On dénonçait désormais les contrats mirobolants signés par des marques avec des actrices. A Londres, les épouses de traders pliaient bagage. Le shopping leur était interdit. Des familles d’expatriés rentraient. Mais un grand événement se préparait. Paris redeviendrait Paris. C’était comme l’annonce d’un grand bal. Il s’appelait la « vente du siècle ».

    En janvier 2009, tout l’espace, sous la verrière du Grand Palais, devint la salle d’exposition de la collection « Pierre Bergé-Yves Saint Laurent ». Les Coucous de Matisse, Le Désespoir de Pierrot de James Ensor, le Portrait de
Madame LR de Brancusi, voisinaient avec des herzpokal à décor de pointe de diamant du dix-septième siècle, des écorchés de bronze, une Judith en majolique… Pour mettre en scène les sept cent soixante-treize pièces, l’aménagement des 13 000 m 2 fut confié à la lauréate du concours du design intérieur du futur musée du Louvre d’Abou Dhabi, conçu par Jean Nouvel. On parla d’un budget de plus d’un million d’euros. « De mémoire d’enchères, il n’y eut pas pareille vente depuis des décennies », annonça Le Figaro . Cent cinquante personnes s’activaient à mettre en place le décor. Pierre Bergé eut ce mot : « Je vais assister aux obsèques de ma collection. »
    De la taille d’une carte de crédit (noire bien sûr), un laissez-passer imprimé d’une photo de Moujik IV avait été envoyé à quelques centaines de privilégiés. Le salon de la rue de Babylone, où les objets et les tableaux échangeaient depuis des années des correspondances secrètes et silencieuses, était devenu une sorte d’aire géante triomphalement dédiée à la Beauté, un mausolée de splendeurs. Dans le fond de la nef, une salle de 860 places assises
avec une centaine de personnes de l’équipe de Christie’s donnait au Grand Palais des airs de cathédrale. Trente mille visiteurs allaient se presser tout le week-end. « Et ces boîtes en or, tu les as vues ? Et cette théière turque ? Et ces timbales d’argent géantes ? Et ce déjeuner chinois en porcelaine de Sèvres, tu l’as vu ? » Le 23 février, à l’heure du champagne, les premiers invités arrivèrent. Un Minotaure les accueillait dans une rotonde floutée de voiles blancs, point de départ de la visite.
    Les années Mitterrand revenaient en pagaille. L’air qu’on respira ce soir-là était embaumé de tous les grands moments YSL, les trente ans de la maison à la Bastille (1992), la Fête de l’Humanité (1988), le défilé rétrospective, en janvier 2002 au Centre Pompidou. Le soir de l’inauguration, des centaines d’invités se croisaient, échangeant des sourires d’habitués comme sur le pont d’un bateau de croisière dont ils ne connaissaient pas la destination. Anciens ministres, marchands, décorateurs, courtiers se retrouvaient, comme dans un bal. Le Damier Jaune de Fernand Léger, le Nu au bord de la mer de Matisse, les Instruments de
musique de Picasso, le Portrait de Madame LR (Brancusi), nous donnaient le sentiment d’être aussi tétanisés par le spectacle dont ils étaient les protagonistes, là au cœur d’une jungle d’esthète, où le fauteuil aux dragons d’Eileen Gray, les banquettes de Miklos tendues de panthère de Somalie, aimantaient tous

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