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Requiem sous le Rialto

Requiem sous le Rialto

Titel: Requiem sous le Rialto Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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plusieurs fois la main dans le néant gris foncé. Aussitôt, ses doigts furent recouverts d’une désagréable humidité presque collante. Il connaissait suffisamment cette sorte de brouillard pour savoir que plus aucun train ni aucun bateau ne circulait. En d’autres termes, tant que la nebbia durerait, la ville serait coupée du monde extérieur. Si Julien n’avait pas embarqué pour Trieste la veille au soir, il était désormais pris au piège.
    En revenant vers la table, le commissaire constata qu’en fin de compte la salade de fruits ne l’inspirait guère. Cette angoissante découverte tenait sans doute au rapport déprimant qu’il venait de rendre à la princesse pendant le repas. Celle-ci, de son côté, avait réagi avec une grande circonspection. Fallait-il en déduire qu’elle n’était plus aussi persuadée de l’innocence de son neveu ? Il n’en avait aucune idée et se garda bien de l’interroger à ce propos.
    — La réaction de Spaur t’a-t-elle surpris ? voulut-elle savoir quand il se fut rassis.
    Tron secoua la tête.
    — À vrai dire, non. Pour lui, l’affaire est bouclée. Ce qui m’a surpris en revanche, c’est la placidité de Stumm.
    Maria fronça les sourcils.
    — Tu veux dire que la fuite de Julien l’arrange ?
    — Cela me semble plausible.
    — Qu’est-ce que cela pourrait bien signifier ?
    — Soit cette histoire le concerne au premier chef, répondit le commissaire, soit il couvre quelqu’un.
    — Le comte de Chambord ?
    — Bossi n’a pas reconnu sa voix, même s’il m’a avoué aujourd’hui n’être plus tout à fait sûr.
    — Qu’avez-vous l’intention de faire ?
    Malgré son manque d’appétit, Tron se resservit une coupelle de salade de fruits, sur laquelle il déposa un peu de chantilly et des miettes de meringue.
    — Nous allons vérifier leurs alibis, dit-il. Nous devons établir où ils se trouvaient tous les deux au moment des crimes. Ce ne sera pas facile, hélas, d’autant qu’officiellement cette enquête ne nous concerne plus.
    — Et le colonel entend malgré tout assister au bal de la comtesse ?
    — C’est ce que j’ai cru comprendre.
    — Le comte de Chambord aussi ?
    — Oui. De même que Spaur. Bref, en dehors de Julien, ils seront tous là !
    Une bandelette détachée du pansement pendait maintenant sur le col de sa veste d’intérieur. Maria le regarda, la tête penchée sur le côté et le coin des lèvres abaissé.
    — As-tu déjà réfléchi à une coiffe pour le bal masqué ? Quelque chose qui dissimule ton bandage ?
    Oui, il y avait réfléchi. Les Tron conservaient dans une boîte prévue à cet effet la zogia , le béret de doge constellé de pierres précieuses que leur ancêtre Niccolò avait porté au XV e  siècle. L’idée de faire un pied de nez à la fois aux Autrichiens et aux partisans de l’unité italienne l’avait tenté un instant, mais au bout du compte, il rechignait à se servir d’une relique familiale en guise de déguisement.
    — Je ne vois pas pourquoi je devrais le dissimuler, répondit-il. Ce bandage me donne l’air d’un héros.
    Il saisit sa coupe et but une gorgée de champagne. Il reprit :
    — Surtout si je refuse d’expliquer d’où vient la blessure. En outre, je ne vois pas quelle coiffe pourrait aller avec une queue-de-pie.
    — Vas-tu porter tes médailles ?
    Tron branla vivement la tête.
    — La République interdit le port de médailles étrangères.
    La princesse leva les yeux au ciel.
    — Ta République a été dissoute par Napoléon en 1797, Alvise !
    Ce sur quoi le commissaire leva à son tour les yeux au ciel et prononça les mêmes paroles que d’habitude quand ils en étaient arrivés à ce point de la conversation :
    — Hélas, trois fois hélas !
    En temps normal, cette remarque déclenchait une discussion animée au cours de laquelle sa fiancée lui reprochait son patriotisme obtus et le traitait, dans son plus parfait toscan, d’incorrigible réactionnaire. Ce jour-là pourtant, elle ne semblait pas avoir envie de parler politique. Au lieu de cela, elle lui demanda :
    — L’inspecteur sera-t-il des nôtres demain soir ?
    — La comtesse lui a envoyé une invitation officielle, dit Tron. Je pensais que tu étais au courant.
    — Non. Il vient seul ?
    — Il m’a expliqué que, compte tenu des circonstances particulières, il n’avait trouvé personne pour l’accompagner.
    Tron posa sa coupe.
    — Mais les hommes

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