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Requiem sous le Rialto

Requiem sous le Rialto

Titel: Requiem sous le Rialto Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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pure spéculation. Et quand bien même nous aurions raison, je doute que cet individu se manifeste. Personne n’a envie d’être mêlé à un meurtre.
    Bossi jeta un regard compatissant à son supérieur.
    — Et qu’allez-vous raconter au commandant Spaur tout à l’heure ? Un meurtre va le mettre hors de lui.
    — Il se peut, lâcha Tron d’un ton songeur, que nous n’ayons pas du tout affaire à un meurtre.
    — Comment ?
    Le commissaire sourit.
    — Sommes-nous bien d’accord sur le fait que l’assassin est fou ?
    — Cela m’en a tout l’air, commissaire.
    — Un fou est-il responsable de ses actes ?
    — Non.
    — Or quelqu’un qui n’est pas responsable de ses actes peut-il être tenu pour responsable d’un crime ?
    Il fallut à Bossi un moment de réflexion. Pour finir, il secoua la tête.
    — Non, évidemment. On va l’interner dans un hôpital psychiatrique.
    — Exact, Bossi ! Parce qu’il n’a pas commis de meurtre. Il ne peut pas commettre de meurtre.
    — Donc, il ne compte pas dans nos statistiques ?
    — Vous avez tout compris.
    Bossi éclata de rire.
    — Vous croyez que Spaur va se laisser convaincre ?
    — Si je m’y prends bien, je suis sûr que oui. Pour commencer, je vais lui montrer les photographies du lieu du crime. Il devra reconnaître lui-même qu’on est en droit de douter de la responsabilité pleine et entière de l’auteur de tels actes.
    — Vous voulez qu’il trouve l’idée tout seul ?
    Tron acquiesça.
    — Le baron ne doit en aucun cas avoir l’impression que je le manipule. C’est lui qui doit prononcer le premier l’expression responsable de ses actes . Après, de la mise en cause de la responsabilité pleine et entière à la mise en cause de la responsabilité pénale , il ne reste plus qu’un pas minuscule à franchir.
    Lorsqu’ils atteignirent la riva degli Schiavoni, le vent avait forci. Des rafales violentes projetaient des embruns sur le mur de soubassement et faisaient se balancer les mâts des grands voiliers amarrés au quai. Des crêtes d’écume blanche dansaient au sommet des vagues houleuses. En face, on apercevait, toute proche, l’île San Giorgio. En temps normal, le bassin de Saint-Marc aurait grouillé de gondoles et d’autres embarcations ; ce jour-là, seul un bateau à vapeur autrichien labourait imperturbablement les ondes, laissant un mince filet de fumée dans son sillage. Comme il aurait été absurde de se déplacer en gondole par une tempête pareille, ils décidèrent de rentrer à pied.
     
    — Il vous attend déjà, commissaire ! s’exclama le sergent Kranzler, le souffre-douleur de Spaur, en les voyant gravir les marches du commissariat central une demi-heure plus tard.
    En d’autres termes, Tron avait intérêt à monter sans tarder dans le bureau de son chef. Dès le seuil, il y découvrit le tableau habituel. Le commandant de police était assis devant une cafetière et une tasse posées sur un plateau en argent. À côté, une grande bonbonnière en porcelaine regorgeait de friandises. Le sol sous sa table était jonché de petits morceaux de papier de toutes les couleurs. L’odeur de café se mêlait au lourd parfum à base d’ambre gris dont Spaur s’aspergeait copieusement depuis quelque temps.
    De toute évidence, le commandant de police était plongé dans la lecture de divers magazines. Tron reconnut la Revue de Paris et la Gazette de la mode , des illustrés luxueux, remplis de gravures en couleur, auxquels la princesse était elle aussi abonnée. Tout laissait à penser que, chez les Spaur, on s’occupait déjà activement de trouver à la jeune baronne une tenue adéquate pour le bal à la Hofburg.
    Le commissaire nota en outre que son supérieur ne s’habillait plus de la même façon qu’avant son mariage. Le béret en velours grenat qu’il avait porté pendant des années pour se donner un air d’artiste avait disparu, ainsi que les chemises aux tons vifs et les guêtres jaunes. Apparemment, sa jeune épouse, ancienne soubrette au théâtre Malibran, jugeait désormais une tenue sérieuse plus conforme à son rang. Un soupçon de bohème distinguée restait malgré tout perceptible. Même si le commandant avait revêtu une redingote de coupe classique, sa chemise n’était pas blanche, mais légèrement lilas, et son nœud papillon, en soie bleue mouchetée de jaune. On aurait dit un gros directeur de revue.
    — Installez-vous, commissaire ! dit-il d’une

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