Retour à Soledad
pauvres en fabriques et manufactures, précisa lord Simon.
– Je n'ai jamais douté de votre attachement aux principes de liberté pour les Noirs. Je vous ai vu à l'œuvre contre les esclavagistes. Même contre ceux de votre propre famille. Mais toute aide apportée aux Sudistes n'encourage-t-elle pas une prolongation de la guerre ? Or, il faut que le Nord l'emporte le plus vite possible, insista Charles.
– Une victoire rapide du Nord ? Rien n'est moins sûr. Il n'est certes de l'intérêt de personne – ni des Yankees, ni des Sudistes, ni de nos industries textiles – de voir la guerre durer. Mais, vous le verrez à Charleston, les choses ne sont pas aussi simples qu'on l'imagine de loin. Libres, les nègres resteront noirs... et pour longtemps, mon ami !
Colson approchait avec Tilloy et lord Simon changea de sujet.
– J'espère que Mme Desteyrac ne me tiendra pas rigueur de la priver de son mari pendant quelques jours. Je veillerai sur elle et sur Pacal pendant votre absence, conclut-il avant de se tourner vers les marins.
Se séparer de Charles peinait Ounca Lou, mais la jeune femme n'en laissa rien paraître. Elle se dit au contraire satisfaite de voir son mari courir une aventure qui romprait, pendant quelque temps, la monotonie d'une vie insulaire dont elle devinait, certains jours, qu'elle pesait à l'élu de son cœur.
– En réalité, votre lord de père me fait tenir un curieux rôle. Il me charge d'empêcher Malcolm de se livrer à ce qu'il nomme des excentricités, et d'éviter qu'Otti ne se crêpe le chignon avec des dames esclavagistes. J'ai cru comprendre qu'il attendrait, au retour, un rapport circonstancié. Sans Pacal, je lui aurais demandé de vous inscrire avec moi sur le rôle d'équipage, dit Desteyrac.
– Nous aurons l'occasion de faire ensemble d'autres croisières, Charles. À Eleuthera, par exemple, où nous ne sommes pas allés depuis longtemps. Mon père nous a offert un voilier : peut-être pourrions-nous un jour naviguer jusqu'à mon île natale ? dit Ounca Lou, gentiment narquoise.
– Ce reproche me paraît justifié. J'avais oublié le brick Apollo . Philip Rodney a dû, avec l'aide de Tom O'Graney, parfaire les aménagements demandés par votre père. Rappelez-vous qu'il le trouvait peu confortable pour une famille. Je vous promets de m'intéresser à ce bateau, sitôt rentré de Charleston, ma chérie, assura Charles.
Le Phoenix mit à la voile au jour et à l'heure prévus. Accoudé à la lisse près de Michael Hocker, l'écrivain du bord, peu satisfait d'être mêlé à cette aventure, Desteyrac attendit d'avoir perdu de vue Ounca Lou et Pacal qui l'avaient accompagné au port occidental.
Ce que Tilloy nommait « un joli frais de sud-est » gonflait les voiles, et le navire s'engageait entre Eleuthera et Cat Island, avant de mettre cap au Nord, quand Ottilia, jusque-là restée confinée dans sa cabine, apparut sur le pont.
– Tout à l'heure, avant que nous n'embarquions, Ounca m'a demandé de veiller sur vous, aussi vous conseillerai-je de coiffer votre panama, comme elle vous y inviterait sans doute. Nous autres, filles des îles, savons que la brise de mer fait oublier les ardeurs du soleil, cependant bien réelles, dit-elle, attentive.
Charles coiffa le chapeau qu'il avait au départ agité en un geste d'adieu et suivit Otti sur la plage avant. Une écharpe de mousseline nouée sous le menton cachait les cheveux de la jeune femme et soulignait l'ovale de son visage. Le menton levé, les yeux clos, elle parut, au-dessus de l'étrave, s'offrir à l'océan. Sa robe légère, plaquée par la brise, moulait ses formes, de la pointe des seins aux cuisses. « Belle comme une figure de proue », se dit Charles, goûtant le tableau. Consciente d'être observée, Ottilia lui fit face, ouvrit les yeux et, pénétrant peut-être la pensée de son compagnon, déroba son corps aux indécentes palpations du vent.
– Le soleil et les embruns vont gâter votre teint, fit remarquer Charles.
– Il se pourrait, mais qui s'en souciera ?
– Mon fils, peut-être. Pacal a dit devant moi, l'autre jour, à sa mère : « Vous avez les joues moins blanches que Tatoti », car c'est ainsi qu'il vous nomme pour ne pas dire tante Otti, fit Charles.
– Alors, je vais me faire hâler pour ressembler à Ounca. Elle est si belle ! Et comme je suis heureuse qu'elle m'ait adoptée en vraie
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