Révolution française Tome 1
l’exigeraient,
jusqu’à ce que la Constitution fût établie et affermie sur des fondements
solides ».
Dans la salle, c’est l’enthousiasme. On acclame Bailly. On
prête serment. On signe à l’unanimité moins une voix, celle du député Martin d’Auch.
On le dénonce au peuple, « attroupé à l’entrée de la
salle, et il est obligé de se sauver par une porte dérobée pour éviter d’être
mis en pièces ».
Les députés se dispersent dans Versailles, répandent la
nouvelle du « coup d’État royal » et du « serment du Jeu de
paume ». On les acclame. On se rend à Paris au Palais-Royal.
On insulte les aristocrates, la reine et les princes.
Devant Louis, l’abîme s’est élargi et creusé.
Ses frères et la reine, le garde des Sceaux répètent qu’on
ne peut reculer, qu’il faut relever le défi lancé par les députés du tiers état.
Le comte d’Artois fera fermer, demain, la salle du Jeu de
paume, au prétexte qu’il doit y jouer sa partie.
Et Louis, d’une voix sourde, annonce au Conseil royal du 21
juin qu’il rejette le plan proposé par Necker, et que la séance royale se
tiendra le 23 juin.
Il se redresse, dit fermement qu’elle sera un lit de justice,
et qu’il imposera sa volonté.
Et l’inquiétude qui le tenaille est plus douloureuse encore.
Il apprend le 22 juin que l’Assemblée s’est réunie à l’église
Saint-Louis dont le curé a ouvert les portes « à la nation ».
Et cent quarante-huit membres du clergé et deux nobles ont
rejoint l’Assemblée.
La séance royale du 23 juin s’annonce décisive. Il ne peut
pas y renoncer, malgré les propos de Necker, qui refuse d’y participer.
« Elle irritera la nation au lieu de la mettre pour soi »,
dit le directeur général des Finances.
La grande salle est gardée par de nombreux soldats lorsque
les députés y pénètrent, appelés par ordre.
Et le comte d’Artois regarde avec arrogance ces élus du
tiers état que la pluie a trempés.
Le roi, aux côtés de son frère, paraît triste et morne.
Mais quand il se met à parler, sa voix, d’abord « tremblante
et altérée », se durcit, autoritaire, lorsqu’il déclare que les
délibérations tenues par le tiers état, qui prétend être une Assemblée
nationale, sont « nulles, illégales, inconstitutionnelles ».
Il avait dit à une députation de la noblesse :
« Je ne permettrai jamais qu’on altère l’autorité qui m’est
confiée. »
Et devant les trois ordres, il reste fidèle à cette promesse
même s’il consent à l’égalité devant l’impôt, à la liberté individuelle, à la
liberté de la presse, à la création d’états provinciaux.
Il accepte le vote par tête mais préserve le vote par ordre
quand il est question des « droits antiques et constitutionnels des trois
ordres ».
Quant à l’égalité fiscale, il s’en remet « à la volonté
généreuse des deux premiers ordres ».
Donc point d’Assemblée nationale, point de Constitution.
Et le roi menace :
« Si vous m’abandonniez dans une si belle entreprise, seul
je ferai le bonheur de mes peuples. »
Est-ce l’annonce de la dissolution des États généraux ?
« Je vous ordonne de vous séparer tout de suite et de
vous rendre demain matin, chacun, dans vos salles affectées à votre ordre pour
y reprendre vos délibérations. »
Le roi se lève, sort. Les fanfares jouent cependant qu’il
monte dans son carrosse.
Toute la noblesse le suit, et la majorité l’imite.
Reste la masse noire du tiers état, silencieuse.
Le destin hésite, et Louis ne l’ignore pas.
Le grand maître des cérémonies, le marquis de Dreux-Brézé, s’avance,
superbe dans son costume chamarré :
« Sa Majesté, dit-il, prie les députés du tiers de se
retirer. »
Un piquet de gardes françaises et de gardes suisses l’a
accompagné jusqu’à la porte. On voit luire leurs baïonnettes.
Bailly, pâle, répond que « l’Assemblée en allait
délibérer, mais que la nation assemblée ne peut recevoir d’ordres ».
Mirabeau s’approche, tel un lutteur qui va agripper son
adversaire :
« Monsieur, lance-t-il, allez dire à votre Maître qu’il
n’y a que les baïonnettes qui puissent nous faire sortir d’ici. »
C’est l’épreuve de force.
« Le roi et la reine ressentent une frayeur mortelle, avait
noté la veille l’Américain Morris. J’en tire la conclusion qu’on va
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