Richelieu ou la quête d'Europe

Cinq-Mars.
    Richelieu se berce d’illusions. Le 8 novembre, Louis XIII donne ordre à Marie de Hautefort de ne plus reparaître à la cour. Le 13, le duc de Bellegarde, ancien grand écuyer, est convaincu de renoncer à sa charge. Deux jours plus tard, Cinq-Mars prête serment au roi et entre en fonction ; il est désormais Monsieur le Grand, et se considère comme délié de toute obligation vis-à-vis du cardinal-ministre.
    Le fils de l’ancien surintendant des finances ne vit plus que d’apparence et d’ostentation. Ses dépenses et ses excès sont tels que Louis XIII et Richelieu doivent intervenir. Cinq-Mars est convoqué et sommé de présenter ses excuses. Au cours de l’hiver, puis du printemps 1640, les incidents se multiplient : Cinq-Mars n’accepte plus de se sacrifier au bon plaisir du souverain ; il cesse de l’accompagner à la chasse et contracte d’énormes dettes. Richelieu intervient encore et répare les dommages de celui qui reste, après tout, sa créature. Le siège d’ Arras , au cours de l’été, est l’occasion du déclenchement des hostilités entre les deux hommes, entre un cardinal prématurément épuisé par les responsabilités et l’insomnie, et un fougueux gentilhomme, qui ne peut se résoudre à contrarier ses inclinations et ambitions naturelles.
    Alors qu’une armée espagnole tente de rompre le blocus imposé à la ville, toutes les troupes à la disposition de Louis XIII sont engagées, y compris sa garde personnelle. Cinq-Mars commande une compagnie et estime de son devoir d’aller combattre. Mais le maréchal de Châtillon, qui supervise les opérations, en décide autrement, par crainte d’une blessure malencontreuse ou d’un incident pire encore. Le favori hésite et finit par s’engager de sa propre initiative. Un récit élogieux de ses faits d’armes est même publié dans La Gazette . Quelques jours plus tard, la relation officielle du siège d’ Arras paraît à son tour : Le Mercure français n’évoque plus que le courage du chef des volontaires, le duc d’Enghien, fils du prince de Condé et futur vainqueur de Rocroi .
    Richelieu a pris conscience du caractère incontrôlable de Cinq-Mars et contrecarre désormais systématiquement ses ambitions, n’hésitant pas, en privé, à dénoncer la lâcheté dont il aurait fait preuveLouis XIII. Il met également tout en oeuvre pour empêcher le mariage du jeune homme avec Marie-Louise de Gonzague, de neuf ans son aînée et de condition supérieure. Mais le meilleur ami de Cinq-Mars, François-Auguste de Thou, apparenté à, intervient. Entré au Parlement à l’âge de dix-neuf ans, il est bientôt nommé conseiller d’État, et n’hésite pas à s’attaquer à la politique étrangère de Richelieu par de discrètes allusions réprobatrices, opportunément répétées au roi par Cinq-Mars.
    Au mois de septembre 1640, Anne d’Autriche met au monde un second fils, futur Philippe d’Orléans. Louis XIII conserve la même attitude à son égard. À la veille de l’accouchement, Louis XIII lui rend visite, non pour s’enquérir de son état, mais pour l’anniversaire du dauphin. Le séjour du roi à Saint-Germain-en-Laye tourne au cauchemar. Le 10, il écrit une lettre à Richelieu pour se plaindre de « l’aversion » qu’éprouverait son fils à son égard. Louis XIII, persuadé que cette animosité n’est due qu’à l’influence de la reine, menace de lui enlever l’héritier du trône. Anne d’Autriche est si désespérée qu’elle se tourne vers son ennemi de toujours, pour lui demander conseil.
    La situation se complique encore lorsque le duc d’Épernon et François-Auguste de Thou, profitant du désarroi général,désignent Richelieu comme responsable des tensions nées au sein de la famille royale. Mais on ne s’en prend pas si aisément au chef du Conseil : Épernon est exilé à Loches et de Thou n’est plus que toléré à la cour [2] . Par solidarité avec ses amis, Cinq-Mars a l’habileté de présenter sa démission au début de l’année 1641. Louis XIII refuse le départ de celui qui semble devenu l’indispensable favori. Le cardinal, sentant sa position faiblir, choisit alors, comme il l’a toujours fait depuis sa jeunesse, de conforter la lignée familiale. Consécration suprême, il obtient pour sa nièce, Mlle de Brézé, le mariage avec le duc d’Enghien, fils du premier prince du sang.
    Cinq-Mars n’en poursuit pas moins le bras de fer qu’il