Ridicule
ajouta, en saluant de la tête : « Baron de Guéret. »
Ponceludon sourit à son voisin sans lui rendre la politesse et se replongea ostensiblement dans son De Natura Kerum. Mais l’autre continuait de le gratifier d’un sourire engageant, sorte de moue vaniteuse qui s’épanouissait.
— Voilà des mois que je sollicite une audience du roi (il disait cela, la bouche tordue de condescendance, comme si c’était là une faveur qu’il faisait au roi) pour plaider que ma famille a été dépossédée d’un titre qui lui revient depuis toujours.
Cette fois Ponceludon ne fit dans sa direction qu’un mouvement oculaire, sans rien changer à sa position de lecteur, jambes croisées, front baissé vers son livre.
— Mais j’ai fait intervenir mon cousin, l’évêque de Rouen, et je crois mon audience proche...
— J’en suis heureux, fit Ponceludon en retournant à sa lecture.
— L’affaire est d’importance, continuait l’autre, puisque je prétends succéder au comte d’Echincourt comme assesseur à l’Académie.
Il ajouta, l’air gourmand :
— Charge très lucrative ! En attendant, vous allez sourire (et c’est lui qui grimaçait un sourire vaniteux), je suis dans la gêne.
— C’est bien fâcheux, admit Ponceludon, toujours aussi peu désireux de donner du combustible à la conversation.
Mais il dut bien faire face à son encombrant compagnon de banquette qui venait de lui agripper le bras.
— Monsieur, je suis prêt à vous signer un billet à échéance !
Quand la noblesse emprunte de l’argent à la bourgeoisie, elle y met toutes les formes du plus offensant mépris pour cette transaction. M. de Guéret avait cette sorte de condescendance naturelle du débiteur au créancier, aussi prononça-t-il « billet à échéance » comme il aurait dit « torche-cul ». Ponceludon le coupa.
— Je suis moi-même dans une extrême nécessité. Désolé.
Maintenant, Guéret en voulait mortellement à Ponceludon d’avoir été le témoin des plaies d’argent qu’il avait consenti à lui exhiber. L’impertinent avait ensuite repoussé l’honneur d’être son débiteur ! Et pour la plus méprisable des raisons : la nécessité. Guéret, grand seigneur, se détourna d’un voisin qui « comptait ». On appela le baron Ponceludon de Malavoy.
Chérin examina longuement les pièces du jeune homme, tandis que Ponceludon regardait le mur, par-dessus le crâne du savant arbitre des lignées. Des arbres généalogiques encadrés y côtoyaient un portrait de Louis XV enfant. Les autres murs étaient couverts de bibliothèques contenant tout l’armoriai français et des traités d’héraldique. Une Bible trônait sur la cheminée, pour rappeler aux grands seigneurs que la généalogie était une science bien plus ancienne que la plus ancienne noblesse.
Chérin leva le nez des documents et ôta ses lunettes, considérant son visiteur avec curiosité.
— Si ce n’est pas indiscret, que sollicitez-vous, à la cour ?
— La charge d’ingénieur du roi, afin d’assécher des marais infestés par les fièvres.
Chérin eut l’air perplexe.
— Mmm... Vous avez des appuis ?
— Non.
— De l’esprit ?
— Un peu d’instruction et de franchise m’en tiennent lieu.
Le généalogiste s’absorba dans une brève méditation, puis :
— L’idéal, dans votre cas, serait de parvenir jusqu’au roi. Il vous serait donc précieux de pouvoir prétendre aux Honneurs de la Cour. Mais pour cela il faut être « immémorial ».
— Immémorial ?
— C’est-à-dire attester de votre lignée depuis l’année 1399.
Ponceludon montra du doigt les documents étalés sur le bureau du généalogiste.
— Nous sommes affiliés à la maison de Savoie.
— Je vois, mais... (il réunit les feuilles en une seule pile, pour bien marquer que les documents ne « parleraient » plus)... mais il vous manque des preuves pour le titre de marquis de Villars.
Le généalogiste avait le calme d’un chirurgien qui annonce un verdict. Il avait vu dans ce même bureau des noms illustres qu’une pareille sentence jetait dans la roture et faisait perdre toute mesure. Certains se laissaient aller à proférer des menaces, d’autres pleuraient. Souvent, on essayait de le corrompre.
— Nous l’avons toujours porté ! protesta le jeune homme, sans indignation excessive.
— C’est possible, soupira Chérin, mais je suis généalogiste, et il me faut l’acte de
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