Robin
de silex. Angharad taillait chaque petite pointe avec
une précision consommée.
Elle et Bran accomplissaient leur
tâche respective dans un silence complice, que seul le lent tap tap cadencé
de ses coups venait rythmer. Lorsque Bran eut achevé quinze flèches, et
Angharad autant de pointes de silex, ils se mirent à collecter des plumes pour
les empennages – d’oie, de cygne et de milan royal. Ils découvrirent les
premières dans un nid abandonné au bord de la rivière qui se trouvait à une
demi-journée de marche de la caverne ; les dernières, ils les récupérèrent
dans un autre nid, parmi les branches d’un orme majestueux posté à l’orée d’un
pré.
Après les avoir chacune ébarbée
d’un côté, ils les taillèrent à la bonne longueur puis attachèrent les
empennages ainsi obtenus à l’extrémité des flèches au moyen de fines bandes de cuir.
Bran encocha soigneusement les autres extrémités et y encastra les pointes de
silex d’Angharad, qu’il fixa solidement avec du cordage humide. Au final, les
flèches ressemblaient à des objets venus d’un autre temps, mais elles étaient
parfaitement équilibrées et, du moins l’espérait-il, voleraient correctement.
À présent muni d’assez de flèches
pour garnir sa ceinture, Bran se devait d’essayer son arc long. Sa première
tentative pour tendre la corde se solda par une douleur paralysante dans sa
poitrine et son épaule. La surprise lui arracha un cri et il faillit lâcher son
arme. La flèche partit en vrille et glissa sur l’herbe avant d’aller se ficher
dans la racine d’un arbre.
Bran fit deux autres tentatives
avant d’abandonner, abattu et vexé. « Pourquoi pareil découragement,
Maître Bran ? le gronda Angharad lorsqu’elle le trouva un peu plus tard
effondré contre le rocher devant la grotte. T’attendais-tu à retrouver ta force
d’antan en une seule journée ? »
Pour son essai suivant, il
rallongea la corde de manière à pouvoir tendre son arc plus facilement. Le
résultat fut un peu meilleur – guère plus : la flèche décrivit un arc
de cercle ridicule avant de retomber quelques dizaines de pas plus loin. Un
enfant aurait pu obtenir un tel résultat, mais c’était un progrès. Au bout de
quelques tentatives tout aussi lamentables, son épaule commença à lui faire
mal, aussi rangea-t-il son arc et partit-il en quête de nouvelles branches.
Une certaine routine
s’installa : Bran commençait par s’entraîner à l’arc, recouvrant peu à peu
ses forces, luttant pour retrouver ses talents perdus jusqu’à ce que la douleur
à l’épaule ou à la poitrine devienne insupportable, puis il mettait son arme de
côté et allait dans la forêt chercher du bois pour ses flèches, ou bien du côté
de la rivière pour dénicher de bons silex. Si sa besogne semblait le rendre
heureux dans la journée, chaque soir au crépuscule la mauvaise humeur
s’emparait de lui. Chaque soir, il s’asseyait devant le feu et contemplait les
flammes, sombre, maussade, irascible.
Angharad chantait toujours pour
lui, mais Bran ne parvenait plus à se concentrer sur sa voix. Nuit après nuit,
son esprit partait à la dérive jusqu’à un endroit sombre et isolé, où il se
perdait invariablement, submergé par un irrésistible sentiment de désespoir.
Finalement, une nuit, alors
qu’Angharad chantait la légende du Rêve de Rhonabwy, il leva la tête et
s’écria : « Faut-il vraiment que vous jouiez tout le temps de cette
harpe stupide ? Et les chants ! Pourquoi ne pas simplement vous taire,
pour une fois ? »
La vieille femme marqua un temps
d’arrêt, laissant la mélodie doucement mourir sur sa harpe. Elle pencha sa tête
de côté et le fixa intensément, comme si elle venait d’entendre l’écho d’un mot
depuis longtemps attendu.
« Et arrêtez de me regarder !
rugit Bran. Laissez-moi tranquille !
— Enfin, dit-elle calmement,
nous y voilà. »
Bran détourna la tête. Sa
propension à accepter ses accès de colère l’exaspérait.
Angharad réunit ses jupes en
lambeaux et se leva. Elle contourna le feu en traînant les pieds pour se
planter devant lui. « Le temps est venu, Maître Bran. Suis-moi.
— Non, dit-il sur un ton
opiniâtre. Et arrêtez de m’appeler comme ça !
— Je t’appellerai autrement
quand tu l’auras mérité.
— Espèce d’horrible vieille
bique ! gronda-t-il sauvagement. Vous n’êtes rien. Je ne supporterai pas
plus longtemps vos
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