Robin
persuadé que l’antique forêt était
hantée.
Avant même que le comte ne puisse
aller interroger Laurent, le bruit avait couru d’un bout à l’autre du caer
qu’une espèce de créature surnaturelle – un oiseau géant avec un bec aussi
long qu’un bras d’homme, des ailes deux fois plus larges et des yeux rouges
luisants – était apparue dans les bois, invoquée par des moyens aussi
mystérieux que diaboliques pour instiller la terreur dans le cœur des
envahisseurs ffreincs. Ce dernier point ne paraissait que trop probable, estima
le comte en regardant ses hommes manquer se marcher dessus pour aller écouter
le dément. Le lendemain à la même heure, cette histoire se serait répandue d’un
bout à l’autre de la vallée.
Quelle que fût la chose qui avait
effrayé ce soldat, il fallait plus qu’une histoire absurde impliquant un oiseau
énorme et la douteuse disparition de quelques chevaux pour faire trembler le
comte dans ses bottes. Seule une averse de flammes et de soufre à minuit,
accompagnée de l’apparition de Lucifer en personne, pouvait convaincre un de
Braose de renoncer à son trône une fois qu’il l’avait conquis. Ce qui était le
cas.
CHAPITRE 31
Mérian considérait l’invitation à
assister aux festivités du baron comme un ordre qui lui aurait été donné de
remplir une tâche fastidieuse. « Doit-on vraiment y aller ?
demanda-t-elle à sa mère lorsque celle-ci l’en informa. Le dois-je,
moi ? »
Elle avait entendu parler de la
manière dont les Ffreincs vivaient : les hommes vouaient un culte à leur
femme et les comblaient de babioles hors de prix et les maisons des nobles
croulaient sous un étalage dispendieux de richesses – de beaux vêtements,
une nourriture somptueuse, du vin d’importation, du mobilier fabriqué par des
artisans vivant outre-mer. Les Ffreincs attachaient beaucoup de prix à la
beauté comme à l’apparat, cédant à nombre de rites aussi extraordinaires
qu’extravagants.
Tout cela, et plus encore, elle
l’avait appris au fil des ans à force d’écouter divers commérages, sans pour
autant varier d’opinion à leur sujet : les Ffreincs ne se résumaient
peut-être pas à des porcs belliqueux vêtus de satin et de dentelle, mais ils
étaient quand même nés dans un parc à bestiaux. La simple perspective
d’assister à l’une de leurs célébrations festives lui donnait une nausée
similaire à celle qu’on ressentait parfois à bord de vaisseaux naviguant sur
des mers démontées.
« C’est un honneur d’être
invitée, lui dit la reine Anora.
— Eh bien c’est trop d’honneur
pour moi, répliqua-t-elle sèchement.
— Ton père a déjà accepté.
— Il l’a fait sans ma
permission, fit remarquer Mérian. Qu’il y aille sans moi. »
Cela ne mettait pas un point final
à la question, loin de là. En fin de compte, elle savait qu’elle devrait se
plier à la décision de son père : elle jouerait la fille modèle et irait,
tel un martyr, affronter son destin.
Bien qu’exaspérée d’avoir à penser
à l’événement, elle ne s’inquiétait pas moins des habits qu’elle porterait, de
savoir si elle saurait se conduire convenablement, si son Breton rustique ne la
desservirait pas, si les manières arriérées de sa famille ne l’embarrasseraient
pas, et plus encore. Elle pouvait certes trouver un millier de raisons de ne
pas fréquenter les Ffreincs, mais celles de se tourmenter lui apparaissaient
innombrables.
Quand le château du baron se
dessina devant eux, s’élevant dans le bleu profond d’un crépuscule d’été
au-dessus des toits de chaume d’Hereford, Mérian fut saisie d’une appréhension
si forte qu’elle manqua défaillir. La voyant tanguer sur sa selle, son frère
Garran lui saisit le coude pour l’empêcher de tomber. « Du calme, sœurette,
dit-il en souriant de sa gêne. Tu n’aimerais pas rencontrer toutes ces dames de
la haute noblesse ffreinc couverte de boue. Elles te prendraient pour un valet
d’écurie.
— Qu’elles pensent ce quelles
veulent, répliqua-t-elle d’un ton qui se voulait impérieux et distant. Je m’en
moque.
— Bien sûr, affirma-t-il. Tu
t’agites comme un moineau qui aurait du sel sur sa queue à la moindre mention
du baron. Tu crois que je ne l’ai pas vu ?
— Oh ? Et tu crois que ça
te ferait du mal d’approcher une cuvette d’un peu plus près, mon frère ?
Je doute que les dames de la haute noblesse ffreinc apprécient les
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