Robin
le garde. Tournant les yeux vers la rive, il ajouta :
« Il a dû faire un détour pour se soulager. »
Partant de ce principe, ils
attendirent un moment que leur compagnon manquant réapparaisse. Comme il ne se
montrait toujours pas, le chevalier et ses hommes entreprirent de suivre le
cours de la rivière en contrebas, à l’écoute du moindre bruit en provenance des
broussailles. Un silence de mort les enveloppait.
Les cinq gardes s’époumonaient
encore lorsque le cavalier envoyé transmettre un message au convoi se montra.
Le chevalier lui fit face. « Tu l’as vu ?
— Qui ça, mon seigneur ?
— Laurent, il a disparu. As-tu
vu quelque chose d’étrange sur la route ? »
Surpris par le regard furieux et le
ton affolé du chevalier, le soldat répondit avec une prudence délibérée :
« Rien d’étrange, mon seigneur. Tout est normal. Les chariots vont bientôt
arriver.
— Tout n’est pas normal, par tous les dieux du ciel ! Nos chevaux ont disparu, eux aussi.
— Disparu ?
— Comme par
enchantement ! »
Le front du cavalier se rida,
tandis que de minuscules pliures se formaient au coin de ses yeux. « Mais…
en êtes-vous certain, sire ?
— Nous avons donné à boire aux
chevaux puis nous nous sommes agenouillés pour nous désaltérer à notre tour,
expliqua un des soldats en s’avançant. Quand nous avons relevé la tête…» Il
chercha des yeux l’assentiment de ses compagnons «… les chevaux s’étaient
volatilisés.
— Ils étaient là, et l’instant
d’après ils n’y étaient plus ? s’étonna le cavalier. Et vous n’avez rien
vu ?
— Si nous avions vu quelque
chose, est-ce qu’on gaspillerait notre salive à t’en parler ? » aboya
le chevalier hors de lui. La main toujours agrippée à la poignée de son épée,
il scruta des yeux la forêt alentour, un gigantesque mur vert omniprésent.
« Croyez-moi, il y a de la sorcellerie dans le coin. Je le sens. »
Ils attendirent au gué, armes à la
main, prêts à faire face à n’importe quelle situation, même extraordinaire.
Mais rien de plus sinistre qu’une nuée de mouches autour de leur tête ne leur
était arrivé quand le premier chariot fit son apparition. Le charretier fit
halte pour faire boire son attelage avant d’entamer la descente dans la vallée
de l’Elfael. Le chevalier en profita pour le presser de questions, faisant de
même avec chaque nouvel arrivant, mais aucun d’eux n’avait vu ou entendu quoi
que ce fût d’étrange ou de troublant sur le trajet.
Lorsque les bœufs se furent
reposés, le convoi de vivres reprit sa route en direction du monastère de
Llanelli. Bien que son itinéraire ne passât pas à proximité de la forteresse du
comte Falkes, celui-ci avait ordonné à ses gardes de la surveiller. Espérant
trouver un moyen de s’insinuer dans les bonnes grâces du baron – et de
couper court à toute rumeur de vol ou de détournement de cette seconde
expédition – il avait envoyé un contingent de soldats pour aider au
transport des indispensables vivres sur la courte distance qui la séparait
encore du monastère.
Les gardes du baron accueillirent à
contrecœur les hommes du comte, et le convoi poursuivit sa route jusqu’à Llanelli,
où l’on procéda au déchargement des chariots dans ce qui restait du monastère.
Alors qu’ils surveillaient le transport de la marchandise dans la chapelle, les
soldats qui avaient escorté l’expédition commencèrent à parler des tristes
événements qui leur étaient arrivés dans la forêt. Leur histoire parvint bien
vite aux oreilles de De Braose, qui convoqua aussitôt le chevalier du baron.
« Qu’entendez-vous par “les
chevaux ont disparu” ? lui demanda le comte lorsqu’il eut écouté son
histoire.
— Comte de Braose, avoua le
chevalier à contrecœur, nous avons également perdu un homme.
— Les hommes et les chevaux ne
se dissolvent pas comme ça dans les airs.
— Je le sais bien, répliqua le
chevalier, de plus en plus irrité. Quand bien même, je sais ce que j’ai vu.
— Mais je croyais que vous
n’aviez rien vu, insista le comte.
— Je ne retire rien de ce que
j’ai dit, maintint impassiblement le chevalier. Je ne suis pas un menteur.
— Loin de moi cette idée,
répliqua le comte d’une voix plus forte. Je cherche simplement à comprendre ce
que vous avez pu voir, ou pas.
— J’ai vu…, commença
prudemment le chevalier, une ombre. Une ombre m’a
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