Robin

fournissait un moyen bienvenu d’asseoir son autorité. Avec sa
propre armée privée, il deviendrait bientôt le prélat le plus puissant de tout
le Wallia. « Vous en êtes conscient, j’ai beaucoup perdu la nuit dernière. L’Église a perdu des trésors inestimables. Cela ne peut se
reproduire. » Il remplit la seconde coupe de vin. « Et cela ne se
reproduira pas.
    — Non, Votre Grâce »,
convint Guy en levant sa propre coupe jusqu’à ses lèvres. Bien que grandement
soulagé de ne pas avoir à retourner devant le baron de Braose les mains vides,
le chevalier avait néanmoins pris la mesure de l’abbé : moins un saint
qu’un prince marchant en robes sacerdotales. Par les os de Job, il avait
rencontré des voleurs à la tire plus vertueux !
    Guy but une autre gorgée de vin, et
ses pensées revinrent aux événements de la matinée.
    Dès qu’il était parvenu à regrouper
ses hommes épuisés, toujours choqués par leur expérience surnaturelle dans la
forêt hantée, il était parti aux premières lueurs de l’aube apporter la
mauvaise nouvelle à l’abbé et au comte. « C’était incroyable du début à la
fin, avait-il rapporté. Sur ma vie, cela ressemblait à un véritable
cauchemar. » Puis il avait entrepris de raconter à son audience de plus en
plus outrée et incrédule tout ce qui était arrivé dans la forêt.
    « Imbécile ! avait rugi
l’abbé quand il en avait eu fini. Dois-je comprendre que vous voyez davantage
dans cette affaire qu’un simple larcin perpétré par la populace dépravée et
impie qui habite dans cette contrée oubliée de Dieu ? »
    À ces mots, le sortilège entourant
l’ensemble de l’incident avait perdu un peu de son pouvoir sur le chevalier.
Guy de Gysbume s’était mis à cligner des yeux, gêné par la lumière du soleil
qui baignait la salle de réception de l’abbé. Pour la première fois, il
comprenait que l’attaque n’avait été perpétrée que par de simples
mortels – des mortels rusés, peut-être, mais néanmoins faits de chair et
d’os. « Non, mon seigneur », avait-il répondu, se sentant aussitôt
très embarrassé et extraordinairement ridicule.
    À l’évidence, le piège avait été
bien préparé, depuis les cadavres d’animaux suspendus le long de la route
jusqu’aux flammes et aux rondins qui leur avaient ôté toute chance de
s’échapper…
    Mais non.
    À présent qu’il y réfléchissait,
l’embuscade avait commencé bien avant, sans doute avec l’essieu brisé du
chariot plus tôt dans la journée : cet infortuné fermier et sa femme
acariâtre, bruyante et dominatrice, impossibles à ignorer tant ils braillaient
à propos de leur cargaison renversée, debout dans la boue là où il n’y aurait
pas dû avoir de boue…
    Oui, il en était certain. La
supercherie avait commencé bien avant l’attaque proprement dite. De plus, la
préparation de chaque composante de cette singulière embuscade avait dû leur
prendre un temps considérable – plusieurs jours, peut-être –, ce qui
signifiait que quelqu’un leur avait dit à quel moment le convoi traverserait la
forêt des Marches. Quelqu’un l’avait su. Y avait-il un espion dans les rangs du
baron ? Était-ce un des soldats ou quelqu’un d’autre qui leur avait
transmis l’information ?
    Ses mains se refermèrent sur sa
coupe, son cœur aspirait à la vengeance. Nonobstant la proposition de l’abbé de
le prendre à son service, il se jura de retrouver tous ceux qui lui avaient
fait perdre sa place auprès du baron et de le leur faire payer. Cher.
    « Croyez-moi, mon ami, ces
ordures païennes vont apprendre à respecter les saints offices. Ils vont
apprendre à vénérer notre mère l’Église. Leurs agissements odieux ne resteront
pas impunis. » Bien que l’abbé parlât doucement, ses paroles ne laissaient
guère de doute quant à sa détermination d’acier. « Vous, commandant
Gysbume, vous serez l’instrument du jugement de Dieu. Vous serez Son arme dans
mes mains. »
    Guy n’aurait pu dire mieux.
    L’abbé remplit une nouvelle coupe
et la leva. « Buvons à la prompte récupération du trésor volé et à votre
propre avancement. »
    Tous deux trinquèrent à leur
succès. Puis ils réfléchirent ensemble à la lettre qu’ils destinaient au baron.
Avant même que la cire n’ait séché sur le parchemin, Guy faisait déjà des plans
pour retrouver le trésor, démasquer le traître parmi eux, et se venger de ceux
qui