Robin
cerclés de fer aux
planches des chariots avant de démembrer ces derniers et de les haler dans la
forêt. Les parties utilisables – roues, harnachements, jougs et éléments
en fer – trouveraient facilement un nouvel usage, le reste serait
dispersé, dissimulé et laissé à pourrir.
Pendant qu’on démontait les
chariots, les armes, armures, selles et selleries abandonnées par terre –
de même que tout ce qui avait un tant soit peu de valeur – furent rassemblées
en un tas unique qu’on empaqueta avant de l’emporter. Dans le même temps, les
restes des animaux abattus furent déposés dans une fosse creusée à cet effet à
proximité de la route, qu’on recouvrit de fougères et de mousse fraîchement
arrachées. Quand tous les objets utiles eurent été récupérés, on écarta les
troncs qui bloquaient la route – une tâche ardue, rendue plus difficile
encore par l’obligation de l’accomplir dans l’obscurité – pour les faire
rouler dans les broussailles. On prit soin d’emporter dans les fourrés la
moindre branche brûlée.
Leur besogne terminée, les
habitants de la forêt ramassèrent les quartiers de viande et disparurent, se
fondant dans les ténèbres desquelles ils avaient surgi.
Quand le soleil se leva sur la
forêt le lendemain matin, presque plus rien ne pouvait signaler l’étrange
bataille inégale qui s’était déroulée en ces lieux, à part quelques branches
roussies inaccessibles, le chemin défoncé et des taches sombres là où le sang
d’un bœuf ou d’un cheval avait coulé.
« La perte de tous les biens
et possessions sous votre garde, la perte de chevaux et de bétail, la perte de
propriétés ecclésiastiques et de reliques sacrées, sans parler de celle du
trésor que vous aviez juré de protéger, entonna solennellement l’abbé Hugo en
regardant par la fenêtre de l’ancienne salle capitulaire qu’il avait
réquisitionnée pour son propre usage. Votre échec est aussi ignominieux qu’il
est complet.
— Je n’ai pas perdu d’hommes,
fit remarquer le commandant Gysbume.
— Mon Dieu* ! grommela
Hugo. Vous croyez que le baron de Braose en a quelque chose à
faire ? » Il lui adressa un regard mortel. « Vous le croyez vraiment ? »
Guy de Gysbume retint sa langue et
attendit que l’orage passe. Des deux hommes qui lui faisaient face, l’abbé était
le plus outré, et de loin le plus à même d’exprimer sa colère. À côté des
excoriations cinglantes et enflammées d’Hugo, la fureur du comte Falkes
semblait presque raisonnable, malgré l’inquiétude qui barrait ses traits.
« Au minimum, Gysbume, vous
serez emprisonné, intervint Falkes.
— Au pire, vous risquez
l’exécution pour malfaisance et grave négligence dans l’exercice de vos
fonctions, ajouta l’abbé pour conclure ce point à sa façon.
— On nous a tendu une
embuscade. J’ai fait mon devoir.
— Vraiment ? Vraiment ? insista Hugo. Nul doute que ça vous sera d’un grand réconfort quand votre tête
sera sur le billot.
— Exécuter un chevalier en
service ? s’étouffa Guy, mais sa bravade n’était guère convaincante.
— Ne vous imaginez pas à
l’abri de pareil destin. Le baron pourrait trouver utile de faire un exemple
avec vous. »
Les mains serrées dans son dos, Guy
accusa le coup. Il se tourna vers le comte pour plaider sa cause.
« Seigneur Falkes, vous avez vu l’endroit de l’embuscade, vous avez vu
que…
— Je n’ai pas vu grand-chose,
au contraire, le coupa Falkes avec mépris. Juste quelques traces de sang et des
feuilles flétries.
— C’est exactement là où je
veux en venir, insista Guy d’une voix chargée de frustration. Quelqu’un a
enlevé les chariots et les bœufs, ils ont tout enlevé !
— Oui, oui, c’était sûrement
cette créature, ce fantôme.
— Je n’ai pas dit ça, marmonna
Guy.
— Le fantôme ? »
interrogea l’abbé Hugo en levant un sourcil interrogateur.
Falkes gratifia le prêtre d’un
sourire supérieur, puis lui décrivit la créature aviaire qui hantait la forêt
des Marches. « Les gens de l’Elfael l’appellent Rhi Bran le Hud. »
Avec un geste dédaigneux de la main, il ajouta : « Je n’en peux plus
d’en entendre parler.
— Robin le Hud, vous
dites ? s’enquit l’abbé.
— Pardon, votre grâce, non pas Robin, répondit Falkes. Rhi Bran, ça signifie Roi Corbeau en
gallois. Quant à “Hud”, ça veut dire sorcier, enchanteur, ou un
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