Robin
Pendant
quelques instants, il redevint un enfant dans la cour de Caer Cadarn, occupé à
écouter les récits des guerriers de retour d’une battue. Sa mère était toujours
vivante, et en sa qualité de Reine de la Chasse, elle dansait et chantait à la
tête des femmes de la vallée pour célébrer la réussite de leurs hommes ;
sa longue chevelure sombre flottait librement tandis qu’elle tournoyait sous
les rayons de la pleine lune.
Rien ne pourrait jamais la faire
revenir, ou remplacer la chaleur de sa présence bien-aimée. Mais il pouvait au
moins accomplir une chose : reconquérir le caer et, sous son autorité,
redonner à la cour de l’Elfael un peu de sa gloire passée.
Angharad lui avait demandé un jour
ce qu’il désirait vraiment. À l’époque, déjà, il s’était douté que cette
question contenait plus qu’il ne pouvait percevoir. Et voilà que soudain, il
distinguait la forme de son plus profond désir. Plus que tout au monde, il
voulait que la joie qu’il avait connue dans sa jeunesse règne à nouveau en
Elfael.
Angharad, qui se tenait à ses
côtés, pouvait sentir la vague d’émotion le submerger tel un torrent inondant
un lit de rivière asséché. Elle sut qu’il avait fini par prendre sa décision.
« Oui, chuchota-t-elle. En cette nuit, tout ce que tu désires se pliera à
ta volonté. Choisis bien, mon roi. »
Levant les yeux, Bran vit le disque
brillant de la lune éclairer le couvert des arbres, baignant la forêt d’une
douce lueur spectrale. « Mon peuple, mon Grellon, dit-il d’une voix brisée
par l’émotion, ce soir nous célébrons notre victoire sur les Ffreincs. Demain,
nous réclamerons notre terre natale. »
Mérian avait décidé d’endurer le
conseil du baron avec grâce et patience. Ayant évité le pire, à savoir passer
le reste de l’été dans le château de Bernard à Hereford, elle pouvait s’offrir
le luxe de se montrer charitable envers ses ennemis. Aussi prenait-elle garde à
ne pas se plaindre et à rester courtoise envers tout un chacun dans ce qu’elle
avait imaginé n’être qu’une situation à peine meilleure que la captivité.
À mesure que les jours passaient,
cependant, son antipathie énergique pour les Ffreincs commençait à faiblir. Il
était tout simplement trop difficile de lutter contre les assauts de courtoisie
et de charme dont elle était la cible. Ainsi, à sa grande stupéfaction –
et non sans une certaine contrariété –, elle se surprenait bel et bien à
apprécier la situation, même si l’espoir qu’elle avait nourri pour ce conseil,
celui de pouvoir renouer connaissance avec Cécile et Thérèse, avait été
déçu : les deux jeunes femmes n’étaient pas venues.
Leur frère, Roubert, lui expliqua
avec enthousiasme que ses sœurs avaient été renvoyées en Normandie pour l’été
et ne reviendraient pas avant l’automne, voire avant le printemps suivant.
« Ça va leur faire du bien d’acquérir quelques bonnes manières », lui
confia-t-il sur un ton supérieur.
De quelles manières il voulait
parler, il n’en dit rien, et Mérian ne lui posa pas la question, de peur de
passer pour une rustre arriérée. Elle appréciait la compagnie de Roubert, mais
se sentait mal à l’aise en sa présence. Bien qu’il parût toujours ravi de la
voir, elle lui trouvait une arrogance naturelle et un mépris voilé à l’égard de
tout ce qui lui était étranger, c’est-à-dire d’à peu près tout ce qui se trouvait
dans le beau royaume de Bretagne, y compris elle-même.
À part Roubert, la seule autre
personne de son âge était la froide fille du baron, Sybil. Le baron en personne
les avait présentées lors de la première journée, avec pour instructions
implicites qu’elles deviennent amies. Pour sa part, Mérian n’y était pas
opposée – il n’y avait de toute façon pas grand-chose à faire avec le
conseil qui siégeait la majeure partie de la journée – mais n’avait
jusque-là guère reçu d’encouragements en ce sens de la part de la jeune noble.
Dame Sybil semblait minée par la
chaleur estivale et l’inconfort foncier du campement. Sa belle chevelure sombre
pendait en écheveaux informes, et des cernes sombres se dessinaient sous ses
grands yeux marron. Elle paraissait si molle, si malheureuse que Mérian, au
départ agacée par les manières affectées de la damoiselle, avait fini par la
prendre en pitié. La jeune noble ffreinc se morfondait à l’ombre d’une
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