Robin
lassitude. « Ce n’est
peut-être pas grand-chose, mais croyez-moi, c’est ça ou rien.
— C’est mieux que rien »,
maugréa Bran. Après avoir soustrait le licou des mains du moine, il se hissa
avec difficulté sur le dos décharné de l’animal. « Dites à l’évêque que je
suis parti. Je lui enverrai un mot de Gwynedd. » Sur ce, il s’en alla sur
sa pathétique monture.
Bran n’avait jamais connu cheval
plus lent et moins assuré. La bête progressait d’un pas pesant au clair de lune,
la tête baissée, le museau touchant presque le sol. En dépit des efforts
répétés du prince – qui passait successivement des supplications
pitoyables aux menaces de torture –, elle refusait de prendre autre chose
qu’un petit amble traînant.
Aussi la nuit touchait-elle à sa
fin quand Bran arriva en vue de Caer Rhodl, la forteresse du père de Mérian, le
roi Cadwgan, qui dépassait de la brume du matin naissant. Après qu’il eut
attaché le cheval de trait à un sorbier situé dans une ravine à proximité de la
route, Bran fit le reste du chemin en courant. Il escalada le mur bas là où il
avait l’habitude de le faire, et sauta dans la cour vide. Le caer était
silencieux. Les gardiens, comme d’ordinaire, dormaient à poings fermés.
Aussi silencieux qu’une ombre, Bran
traversa en hâte la sombre cour pour atteindre l’autre coin de la maison. La
chambre de Mérian se trouvait à l’arrière ; son unique petite fenêtre
donnait sur le jardin d’herbes de la cuisine. Après s’être glissé le long du
mur jusqu’à l’ouverture, il pressa l’oreille contre le lourd volet de bois et
se mit à écouter. N’entendant rien, il tira sur le volet qui s’ouvrit
facilement, et se tint coi quelques instants. Comme rien ne bougeait à
l’intérieur, il chuchota : « Mérian…», attendit, puis répéta un peu
plus fort : « Mérian ! Dépêche-toi ! »
Cette fois, un bruit de pas
étouffés et un bruissement d’habits répondit à son appel. Au bout de quelques
instants, le visage de Mérian apparut à la fenêtre, pâle dans la faible
lumière. « Tu n’aurais pas dû venir, commença-t-elle. Je ne te laisserai
pas entrer, pas ce soir.
— Une bataille a eu lieu,
expliqua-t-il. Mon père a été tué, et toute la garde avec lui. Les Ffreincs se
sont emparés de l’Elfael.
— Oh, Bran !
souffla-t-elle. Comment est-ce arrivé ?
— Le roi William le leur a
concédé. Ils raflent tout ce qu’ils peuvent trouver.
— Mais c’est terrible. Es-tu
blessé ?
— Je n’ai pas assisté à la
bataille. Mais ils me cherchent à l’heure qu’il est.
— Qu’est-ce que tu comptes
faire ?
— Je pars pour Gwynedd
immédiatement. J’ai de la famille là-bas. Mais j’ai besoin d’un cheval.
— Tu veux que je te donne un
cheval ? » Mérian secoua la tête. « Je ne peux pas. Je n’ose
pas. Les cris de mon père feraient s’écrouler le toit.
— Je le paierai, insista Bran.
Ou trouverai un moyen de le lui rendre. Mérian, je t’en prie.
— C’est le seul
moyen ? »
Il serra sa main. « Je t’en
prie, Mérian, tu es la seule qui puisse m’aider à présent. » Il la
contempla dans la lumière rougeoyante du soleil levant ; il sentit malgré
lui le désir monter en lui. Après une brusque inspiration, il ajouta : « Je
t’aime, Mérian. Viens avec moi. Nous allons partir tous les deux, toi et moi,
loin, très loin de tout ça.
— Bran, réfléchis à ce que tu
es en train de dire ! » Elle le força à lui lâcher le bras. « Je
ne peux pas fuir, pas plus que toi. » Se penchant en avant autant que la
petite fenêtre le lui permettait, elle s’agrippa à lui. « Écoute-moi,
Bran. Tu dois retourner en Elfael. Ton peuple va avoir besoin de toi dans les
jours et les mois qui viennent. Tu vas devenir roi. Tu dois penser à eux.
— Les Ffreincs me
tueront ! protesta Bran.
— Chut, dit-elle en posant le
bout de ses doigts sur ses lèvres. On va t’entendre.
— J’ai échoué à payer la
rançon, lui expliqua Bran d’une voix moins forte. Si je retourne en Elfael les
mains vides, ils me tueront, je crois qu’ils en ont l’intention, de toute
façon. C’est juste parce qu’ils veulent l’argent d’abord que je suis encore en
vie.
— Entre, dit-elle tout en
réfléchissant. Nous devons aller voir mon père. Tu dois lui répéter ce que tu
m’as raconté. Il saura quoi faire. »
Bran rejeta tout net la
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