Robin
instructions à la lettre. »
Elle posa ses doigts osseux sur le
bras musclé de Bran et le conduisit dans la forêt ravagée. Ils croisèrent assez
de mort et de dévastation pour faire pleurer les pierres elles-mêmes, marchant
jusqu’à atteindre une haute colline surplombée d’une extraordinaire forteresse
blanche. Au pied de l’éminence coulait une rivière, jadis miroitante et claire,
à présent brun-rose du sang des massacres.
La vieille sorcière pointa du doigt
la forteresse : « Là-haut, tu trouveras la tribu de géants qui ont
ensorcelé cette belle île. Leur présence même est le fléau. Tue-les tous et le
sortilège sera rompu, pour ton plus grand triomphe.
— Si c’est aussi simple,
répliqua pompeusement Bran, pourquoi ne pas me l’avoir dit plus tôt ?
C’est comme si c’était fait. » Il voulut se mettre en route immédiatement.
La vieille ratatinée l’en empêcha.
« Attends ! Il y a plus. Tu dois aussi savoir que les géants ont tué
le Seigneur de la Forêt et qu’ils ont pris possession de son chaudron, qu’on
appelle Chaudron de la Renaissance à cause de ses vertus miraculeuses :
quand une créature, humaine ou animale cela importe peu, qu’elle soit morte et
démembrée, mutilée, mise en pièces ou dévorée, est jetée dans le chaudron
bouillant – même un morceau de son cadavre suffit –, elle reprend vie
et en ressort en pleine santé et à nouveau entière. »
Stupéfait, Bran s’exclama :
« Vraiment, quel prodige ! Soyez assurée que je ne reculerai devant
rien pour récupérer cet incroyable récipient.
— Fais-le, promit la sorcière,
et le moindre de tes désirs sera exaucé. »
Sur ce, il partit traverser la
rivière de sang avant de s’attaquer à la haute colline. Une fois suffisamment
près de la forteresse, il se rendit compte que celle-ci n’était pas construite
en marbre de choix, comme il s’y était attendu, mais avec des ossements humains
et animaux transformés en gravats pour ériger les hauts murs blancs, les
tourelles et les tours. Une odeur écœurante s’en élevait, ce qui, outre le fait
de le rendre malade, ne fit qu’accroître sa fureur à l’égard des géants.
Hardiment, il s’approcha des
portes, et hardiment il les passa. Aucun garde ou portier n’était là pour
l’accueillir, aussi traversa-t-il la cour à grandes enjambées avant de pénétrer
dans la grande pièce. Si la cour empestait, ce n’était rien en comparaison de
l’odeur à l’intérieur.
Depuis la pièce, il pouvait
entendre des gens festoyer bruyamment. Il se glissa jusqu’à la porte massive,
jeta un œil dans la salle voisine et le regretta aussitôt. Il vit sept géants,
le plus petit faisant trois fois la taille de n’importe quel humain, le plus
grand trois fois plus imposant encore. Tous étaient des brutes incroyablement
laides, avec une peau blanchâtre couverte de taches, une longue chevelure
hirsute descendait le long de leur large dos en affreux écheveaux emmêlés et un
énorme sourcil unique barrait leur front épais et saillant. Chaque géant était
plus laid que le précédent, avec de grosses lèvres charnues et un gigantesque
nez ressemblant au bec de quelque oiseau malformé. Leurs cous étaient trapus,
leurs bras ridiculement courts, leurs jambes maigres en dessous de la cuisse et
grasses au-dessus. Tous portaient des massues en fer, que deux hommes auraient
trouvé ardues à soulever.
Trois longues tables remplissaient
la pièce, sur lesquelles s’étalait un festin de viande rôtie provenant de
toutes sortes de créatures et que les géants dévoraient avec un abandon
consommé. Tout en mangeant – déchirant les carcasses à la main, farcissant
de viande leur bouche boudinée, crachant les os, puis arrosant le tout de
grandes goulées gourmandes de saindoux fondu et de gras tirées de la vingtaine
de cuves disposées ici et là autour de la salle –, ils riaient et
chantaient de leur désagréable voix. Le raffut était tel que la tête de Bran se
mit à battre comme un tambour qu’on frappe.
Bran le Béni demeura un moment
immobile, à contempler le carnage du festin, puis sentit une irrépressible rage
s’emparer de lui. De l’autre côté de la pièce, il aperçut alors une énorme
bouilloire de bronze poli agrémenté de cuivre, d’argent et d’or – si
grosse qu’on aurait pu y mettre seize hommes à la fois, ou trois attelages de
bœufs, ou neuf chevaux, ou sept cerfs, trois biches et
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