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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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désireuses de compléter une information jusque-là
très édulcorée sur la théologie janséniste, occupaient les premiers rangs. Les
jeunes filles passaient leur plus belle toilette d’après-midi car elles
savaient que les étudiants, rejetons des meilleures familles, futurs pasteurs, notaires,
avocats ou magistrats, ne manqueraient pas de les observer… comme au théâtre… comme
au marché !
    Sainte-Beuve, ému, avait choisi pour sujet de son cours
inaugural les origines de Port-Royal. On trouva au maître une voix monotone, une
pointe d’accent picard.
    Celles qui, comme Charlotte et Flora, pensaient voir un bel
homme, furent déçues. Le conférencier, de taille moyenne, offrait aux regards
une tête un peu trop volumineuse pour son corps, un visage aux traits
irréguliers, des cheveux d’un roux cuivré, raides et fins.
    — Son sourcil droit est à plus grande distance de l’œil
que le gauche, observa Charlotte.
    Flora lui trouva un nez grand et mal fait. Mais Élise reconnut
que ses yeux bleus traduisaient une grande intelligence et une parfaite
lucidité d’esprit.
    — Sa bouche, quand il se tait, est celle d’un sceptique
amer, dit Axel qui avait accepté, avec Blaise et Ribeyre, d’accompagner les
femmes du cercle.
    — Ah ! il sait sourire et charmer et, s’il n’est
pas beau, sa figure n’a rien de désagréable, dit Aricie.
    — On s’y accoutume en effet, reconnut Charlotte, au
troisième cours.
    — Je trouve même qu’émane de lui une séduction
indéfinissable. On sent tout de suite que c’est quelqu’un. Et qui connaît son
sujet, dit Élise.
    M me  Métaz, très intéressée par le destin de
l’abbesse Angélique Arnauld qui avait refusé de céder aux injonctions papales
après la condamnation des jansénistes, s’était installée à Beauregard pour ne
rien perdre de l’enseignement de Sainte-Beuve. Assidue aux cours, elle prenait
des notes et, le soir, avec application, les mettait au propre, avec l’aide de
Chantenoz, souvent sollicité quand un propos du conférencier paraissait obscur.
    Axel, bien que libéré en cette saison des travaux de la
vigne, ne fit, au cours de l’hiver, que de rares apparitions à l’Académie de Lausanne.
Il attendit que Sainte-Beuve en arrivât à l’évocation de la vie monacale que
menèrent à Port-Royal des savants comme le mathématicien Paul Lancelot, le
grammairien Antoine Arnauld, le théologien Pierre Nicole et, bien sûr, Blaise
Pascal, dont son précepteur lui avait fait autrefois étudier l’œuvre.
    Pour se rendre de l’hôtel d’Angleterre à l’Académie, perchée
près de la cathédrale, sur la colline de la Cité, Sainte-Beuve devait descendre
la rue de Bourg jusqu’à la place Saint-François, passer Le Flon sur le pont de
la Madeleine, traverser la place de la Palud avant de gravir les escaliers de
bois du Marché.
    Les lundi, mercredi et vendredi, jours où le critique
donnait son cours [96] on voyait, mêlées aux étudiants, de nombreuses dames et demoiselles de la bonne
société, qui eussent caqueté davantage si l’escalade n’eût raréfié le souffle
des plus bavardes !
    Depuis l’arrivée du conférencier, certaines bourgeoises, sans
doute émoustillées par le titre de l’ouvrage, s’étaient procuré Volupté, dont
les libraires assuraient qu’il s’agissait d’une autobiographie déguisée.
    Ces lectrices voyaient maintenant, derrière l’historien de
Port-Royal aux propos édifiants, l’écrivain qui avait campé, en Amaury, un
héros romantique, écartelé entre les appels impérieux de la chair et les
exigences restrictives de la foi chrétienne.
    — Amaury, c’est Sainte-Beuve, c’est Werther carabin, proclama
Chantenoz, quand Aricie voulut connaître l’opinion de son mari sur ce roman, au
cours d’un dîner du cercle, à Beauregard.
    Élise Métaz, à qui sa belle-mère avait prêté l’ouvrage de
Sainte-Beuve, donna à la conversation un tour plus philosophique. Son opinion
était, depuis peu, faite par le pasteur Alexandre Vinet, pour qui elle avait
conçu une vive admiration.
    — La volupté est, dit-on, « le soin que l’on prend
de la chair pour en satisfaire les convoitises ». Or, il paraît de bon ton,
aujourd’hui, pour les esprits forts, de flétrir la continence. M. Vinet, à
qui l’on demandait son sentiment sur ce point à propos du livre de M. Sainte-Beuve,
a cité Montesquieu : « Il y a tant d’imperfections attachées à la
perte de la

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