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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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Chantenoz,
d’un air entendu.
    — On ignore ce qu’il en a dit, constata Flora, sans
relever l’allusion libertine.
    — « Je ne suis pas chrétien, mais c’est pour t’aimer
mieux », voilà ce qu’il a dit, ma chère, lança Louis Vuippens, citant
Voltaire avec un clin d’œil grivois.
    Axel Métaz ne fit aucun commentaire. Depuis le commencement
du cours de Sainte-Beuve régnait à l’Académie une ambiance composite, où l’observateur
attentif décelait sentiments inexprimés, sensualité affleurante, élans contenus,
promesses de bonheurs. Cela résultait de l’aimable promiscuité dans laquelle
étudiants et jeunes filles se retrouvaient serrés sur les bancs, trois fois par
semaine, dans la grande bibliothèque, au pied de la chaire du professeur invité.
Ils avaient d’abord échangé des regards, puis des propos anodins, puis des
œillades, puis des serrements de mains, puis des livres, puis des billets doux,
enfin des rendez-vous hors de vue de l’Alma Mater, duègne distraite. Des
couples s’étaient formés et, dans certaines familles, on parlait déjà
fiançailles et mariage.
    Axel avait récemment découvert sur ses tempes les premiers
cheveux gris. La fréquentation épisodique de l’Académie venait maintenant lui
rappeler la fugacité de la vie, la fuite accélérée des jours et des saisons. De
ses passions consumées ne restaient que cendres froides, réminiscences de plus
en plus floues, visages figés par la mémoire, portraitiste désinvolte.
    Sensible au charme enivrant qu’exhalait la belle et saine
jeunesse vaudoise, déjà livrée aux sortilèges des amours naissantes, il se prit
à revendiquer le droit d’aimer encore. Une certaine rousse, élégante et
solitaire, dont le regard doux et las avait, un instant, retenu le sien lors de
la dernière leçon de Sainte-Beuve, assisterait-elle au prochain cours ?
    Ainsi lui vint un désir de femme.

2
    « On en reparlera dans six mois », avait dit Louis
Vuippens quand Axel, sûr de lui, s’était engagé à ne pas aller chercher
ailleurs le plaisir charnel qu’Élise ne pouvait plus offrir.
    — Eh bien ! tu as tenu plus longtemps que je ne
pensais. Ça fait plus d’un an, non ? dit le médecin en découvrant, un soir
d’avril 1338, son ami en conversation, dans le hall de l’Académie de
Lausanne, avec une jeune femme rencontrée au cours de Sainte-Beuve.
    — Nous parlions philosophie, se défendit mollement Axel,
alors que son interlocutrice s’éloignait prestement.
    — Eh ! il existe des entrées en matière moins
sérieuses ! Mais si cette superbe rousse est, de surcroît, férue en
philosophie, alors, bravo ! persifla Vuippens.
    Le médecin ignorait encore l’identité de cette auditrice de
Sainte-Beuve.
    Marthe Bovey, veuve depuis deux ans, se ressentait d’une
abstinence contraire à sa nature et d’une solitude intellectuelle médiocrement
compensée par les mondanités lausannoises.
    Axel, très occupé par ses affaires, ne venait qu’épisodiquement
de Vevey pour entendre, en compagnie de sa femme, un conférencier de qui il n’attendait
pas de révélations. Élise, esprit religieux, avide de comprendre l’origine et
le déroulement d’une querelle consécutive à la condamnation du jansénisme à l’issue
de laquelle les jésuites, qu’elle détestait, l’avaient emporté sur les sages
religieuses cisterciennes considérées comme hérétiques, continuait à résider
chez sa belle-mère, à Beauregard.
    Dès la première conférence, à laquelle il avait assisté plus
par courtoisie pour sa femme que par intérêt pour l’aventure spirituelle de
Port-Royal, Axel s’était laissé distraire par la présence d’une grande femme au
regard mélancolique, qui prenait avec application des notes dans un gros cahier
de cuir bordeaux. Impassible, comme lointaine, l’auditrice offrait un type de
beauté peu courant en pays de Vaud. Elle eût fourni au statuaire le modèle d’Athéna
ou de Junon si des lèvres rouges et charnues, pulpe d’orange sanguine, n’eussent
trahi une sensualité exigeante et prometteuse. Sa chevelure flamboyante, aux
ondulations souples, partagée par une raie médiane et divisée en deux lourdes
torsades dressées en chignon sur la nuque, se rebellait, élastique, sous une
capeline dont l’élégante devait souvent rétablir l’équilibre.
    Lors du cours inaugural, donné le 6 novembre 1837 par
le critique français, la stature, l’élégance naturelle

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