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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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verrait pas la vendange, puis il ajouta :
    — Quand je serai mort, bientôt, où donc me mettra Régis,
hein, le sais-tu, Axel ?
    — Ne parle pas de ça ! dit l’interpellé en prenant
une main sèche, flétrie, mais devenue bizarrement douce, depuis que le vieil
homme ne tirait plus sur les cordages.
    — Eh ! il faut bien en parler, mon gars. Alors, où
me mettrez-vous ?
    — Près de vos enfants, à Saint-Martin, bien sûr, intervint
Vuippens.
    — Ah ouiche, tiens, ça ne me plaît guère d’aller dans
la terre, dit le vieux, trouvant la force de protester.
    — Mais c’est le lieu où nous irons tous, tôt ou tard. Où
voudriez-vous donc être enterré, père Valeyres, reprit le médecin, qui sentait
Axel trop ému pour entretenir cette conversation.
    — Au lac, au lac. Je veux qu’on me couse dans un sac, avec
une bonne pierre lourde et qu’on me jette au lac, là-bas, entre Ouchy et
Meillerie où le Léman est le plus profond, plus de trois cents mètres, qu’on
dit !
    — Chez nous les morts doivent aller dans les cimetières,
père Valeyres. Seuls les marins morts en mer sont livrés à l’océan. La loi ne
permet pas ce genre d’inhumation dans le Léman.
    — Passe-toi de la loi, Axel. Je n’t’ai jamais rien
demandé. Aussi, fais-moi ce plaisir. Je veux aller au lac, pas en terre. Tiens,
si j’avais la force, j’irais m’y jeter moi-même, mais je tiens plus debout. Alors,
faut me promettre de me porter au lac, répéta le vieil homme en s’animant.
    — J’en fais mon affaire, Pierre. Ton caveau sera le
Léman, je te le promets, dit Axel avec autorité.
    — Ta promesse à ce mourant est inconsidérée, constata
Vuippens quand ils eurent quitté le logis du bacouni.
    — Non pas, Louis. Ou j’obtiendrai l’autorisation d’immerger
le corps ou je passerai outre à la loi. Je dois cela à Pierre Valeyres. Et je
ne te demanderai pas de m’aider, ajouta Métaz.
    — Tu penses bien que je serai avec toi, comme toujours.
Nous irons glisser le vieux dans son lac, là où il a décidé. À trois cents
mètres, la pression est de trente atmosphères, pas de danger que le corps
remonte.
    La promesse d’Axel à Pierre Valeyres fut tenue. Le préfet de
district ne pouvait, de son propre chef, autoriser l’immersion concertée d’un cadavre,
même si le docteur Vuippens assurait que, lesté d’un poids plus élevé que celui
du mort, suivant les règles maritimes, le corps ne réapparaîtrait pas, plus
tard, devant la machine hydraulique de Genève, où le courant du Rhône portait
souvent les noyés. Conciliant, le fonctionnaire cantonal se contenta de dire à
Axel Métaz que sa demande n’avait jamais été formulée et qu’il voulait tout ignorer
de la sépulture lacustre du père Valeyres, à condition que l’opération fût
effectuée avec une totale discrétion.
    À l’aube du dernier jour de mai, le corps du vieux batelier,
sec comme un sarment de vigne, fut emmailloté dans une toile à voile qu’Axel
cousut, en retenant ses larmes, avec la grosse aiguille et la paumelle de cuir
dont le mort s’était si longtemps servi pour ralinguer les voiles. Deux gueuses
de fonte suffirent à lester le sac. Embarqué sur la Charlotte, la barque
préférée du défunt, Pierre Valeyres mit à la voile pour sa dernière navigation,
accompagné par son petit-fils Régis, Axel Métaz, Louis Vuippens et le brave
pasteur Duloy, dans la confidence. Le soleil, se hissant au-dessus des rochers
de Naye, chassait les étoiles attardées quand, sur une planche, Axel et Louis
firent glisser dans le lac le corps du vieux bacouni. Le pasteur récita la prière
des morts tandis que, sur l’eau bleue, s’élargissait en ondes concentriques l’ultime
accolade du Léman à son hôte d’éternité.
    Deux heures plus tard, dans l’église Saint-Martin, devant un
cercueil de bois banal qui ne contenait qu’un sac de sable, de nombreux
Veveysans, émus, entendirent le pasteur Albert Duloy prononcer, avec conviction
et émotion, l’oraison funèbre de Pierre Valeyres.
    — Nous tous, frères et sœurs, qui l’avons connu et aimé,
savons bien que son âme, candide et généreuse, hante déjà notre lac, qu’il
connaissait mieux que personne, conclut le ministre, avec un regard reconnaissant
au préfet de district.
    Quelques jours après la mise en terre d’une bière vide,
M. Métaz convoqua le marbrier Doret pour qu’il dressât une stèle à la
mémoire du vieux bacouni. Sous les

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