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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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retrouvailles, Alexandra demanda à
Axel de venir l’attendre à la sortie de l’École supérieure. Il accepta aussitôt
et comprit, quand, devant ses compagnes de classe, la jeune fille lui prit
affectueusement le bras, que la fillette était devenue femme.
    — Les gens ne vont-ils pas imaginer que je suis un
vieux beau qui a séduit une étudiante ? plaisanta Axel.
    — Tu es beau mais tu n’es pas vieux, parrain. Et si d’autres
sont jaloux, tant mieux… et puis, ajouta-t-elle, câline, il y a très longtemps
que tu m’as séduite.
    Ils gravirent ainsi, en s’amusant d’un rien – de l’allure
d’une passante, de la frénésie d’un chien lancé à la poursuite d’un chat, de la
bedaine du boucher en tablier blanc guettant la pratique sur le pas de sa porte –,
la rue de la Cité et arrivèrent rue des Granges, où M me  Laviron
les attendait pour faire servir le thé qu’elle prenait chaque après-midi avec
Alexandra.
    — Eh bien, te voilà rouge comme un coq ! dit Anaïs
à la jeune fille.
    — C’est à cause de la chaleur et de la pente de vos
rues, dit Axel.
    — C’est à cause qu’on a bien ri et que je suis heureuse !
rectifia Alexandra en croquant un bricelet.
    Quand la filleule d’Axel quitta le salon pour la salle d’études,
Anaïs Laviron adopta le ton de la confidence :
    — Savez-vous, Axel, que les jeunes hommes, et même des
moins jeunes, regardent Alexandra avec intérêt. Dieu merci, la petite sait
parfaitement à quoi s’en tenir sur les dangers qui la guettent. Elle nous donne,
à Pierre-Antoine et à moi-même, toutes les satisfactions. Je ne pourrai jamais
dire qu’elle a remplacé notre Juliane mais sa présence et son affection nous
ont aidés à accepter le mauvais sort et à retrouver une vraie raison de vivre, et
même de sourire. Elle a eu le prix d’excellence à l’École supérieure, et son
professeur de piano, M. Wolff, considère qu’elle est, à ce jour, la meilleure
pianiste formée au conservatoire de Genève. Dans toutes les ventes de
bienfaisance, on me la demande. Et elle joue divinement !
    M me  Laviron rappela qu’Alexandra avait reçu,
en 1836, les compliments de Franz Liszt, avant que le musicien ne quitte Genève
avec Marie d’Agoult et M me  George Sand, arrivée de France. Ce
rappel du séjour de Liszt incita M me  Laviron, toujours prête à
potiner, à développer le dernier sujet de conversation d’actualité dans les
salons genevois.
    Dans les maisons où M me  d’Agoult n’avait
jamais été reçue, alors qu’on y avait beaucoup cajolé M. Liszt, on
commentait, cet été-là, avec des mines contrites ou moqueuses, la publication d’un
petit livre du major Adolphe Pictet de Rochemont, surnommé Pictet le Sourd, Une
course à Chamonix, conte fantastique. Cet érudit, professeur d’esthétique
et d’histoire des littératures modernes, connaisseur des langues
indo-européennes, avait participé, en septembre 1836, avec George Sand et
le couple Liszt-d’Agoult, à une expédition dans les Alpes, dont les échos
avaient retenti jusqu’à Genève, tant le quatuor s’était fait remarquer par ses
canulars de rapins et ses bruyantes beuveries dans les hôtels, de Chamonix à
Fribourg. Qu’un membre très respectable d’une des plus illustres familles d’Helvétie
se fût associé à de telles excentricités étonnait la gentry genevoise. Quand on
sut, rue des Granges, que le savant Pictet s’était amouraché de M me  Sand,
les initiés furent invités à livrer les clefs de son récent ouvrage. Ainsi, sous
la plume du spécialiste en sanscrit, George Sand apparaissait sous le nom de
Kamôroupî, « celle qui change à son gré », Liszt se cachait sous le
clair pseudonyme de Madhousvâra, « le mélodique », quant à la comtesse
d’Agoult, elle était tantôt Arabella, tantôt Manas « la pensée » [101] .
    Le lendemain, Axel courut chez un libraire pour se procurer
un livre qui amuserait Élise. Puis, avant de quitter Genève, il eut un
entretien avec Pierre-Antoine. Ce dernier lui confirma son intention d’adopter
légalement Alexandra, afin qu’elle devînt son héritière.
    — Nous y sommes, Anaïs et moi, d’autant plus décidés, avec
votre accord bien sûr, qu’Alexandra a déclaré que deux choses seulement l’intéressent,
le piano et la banque !
    — La banque ! s’exclama Axel.
    — Oui, mon ami, la banque. Votre filleule s’est mis
dans la tête d’être la première

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