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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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des pluies fréquentes, offrait,
sous une riche lumière, des ciels nacrés ou rosis par le couchant, dont les
peintres tentaient de rendre les tons subtils et capricieux.
    Eugène Isabey [103] , alors en
villégiature sur la côte normande, faisait partie des habitués de la station.
    Le directeur de l’hôtel Royal, longue bâtisse blanche, ouverte
sur la large esplanade gazonnée qui séparait la plage de la ville, accueillit
les Vaudois avec les mêmes attentions qu’il réservait aux habitués étrangers, Anglais
pour la plupart.
    — Car, affirma l’hôtelier, on se baigne à Dieppe depuis
qu’en 1578 Henri III est venu tremper sa gale dans les vagues !
    Malgré la moue d’Élise, il poursuivit un discours de
bienvenue, sans doute mille fois répété.
    — Plus tard, Henri IV y fit porter sa chienne, mordue
par un chien enragé, parce que l’eau de mer était censée guérir la rage. Ce fut
encore pour tenter de les sauver de cette horrible maladie, dont elles étaient
atteintes, que trois dames d’honneur de la reine Marie-Thérèse, l’épouse de
Louis XIV, furent, en 1671, jetées nues dans les flots, puis repêchées au
bout de cordes. Fort heureusement, messieurs et dames, depuis 1780, année où
nos ancêtres ont ouvert ici la première maison de santé, les procédés de
baignade sont devenus moins barbares et plus attractifs, ajouta le prolixe
hôtelier en s’inclinant, satisfait, devant les dames, avec un arrondi du bras qu’Axel
imagina prolongé d’un feutre à plumes !
    En cette fin de printemps 1838, la ville normande, première
station balnéaire française, surveillée du haut d’une falaise par son vieux
château du XIV e  siècle, comptait
une douzaine d’hôtels de luxe et offrait des installations confortables, récemment
rénovées. Les voyageurs découvrirent bientôt les bains Caroline, un casino, couvert
de rosiers grimpants, où l’on dansait chaque soir, le théâtre, offert à la
ville en 1826 par la duchesse de Berry, où l’on donnait concerts et comédies, quelques
jolies boutiques, réunies en un bazar aéré, les ateliers des sculpteurs d’ivoire,
qui constituaient avec le château et les dentellières une curiosité locale. Les
ivoiriers pratiquaient un art importé à Dieppe en 1364 par les marins, qui
avaient rapporté de Guinée les premières défenses d’éléphant. Ces artistes, plus
de trois cents affirmait-on, dont les collectionneurs européens avaient fait la
réputation, travaillaient à la vue des passants derrière la fenêtre de leur
échoppe. Charlotte et Flora visitèrent deux ou trois ateliers et, le soir, au
dîner, autour d’une table superbement dressée et fleurie à l’hôtel Royal, offrirent
chacune à son époux une statuette finement ciselée représentant Napoléon I er ,
bras croisés sur la poitrine, position qui, d’après Fontsalte, lui était
familière quand il suivait, juché sur un promontoire, le déroulement d’une bataille.
    — Car, affirma Charlotte, tous ces artistes sont
bonapartistes. Et si celui qui nous a vendu ces pièces, sculptées sous le
manteau, n’avait pas vu, quand nous étions avec vous devant sa vitrine, vos
rubans de la Légion d’honneur, il ne nous aurait pas proposé ces effigies dont
la police de Louis-Philippe réprouve et condamne la fabrication.
    Élise, qui n’avait pas voulu se singulariser, fit aussi un
cadeau à Axel : un coupe-papier en forme de cygne, habilement sculpté dans
la courbure d’une plaque d’ivoire, par Graillon [104] l’un des plus
célèbres ivoiriers dieppois, alors en stage de perfectionnement à Paris.
    D’après le directeur de l’hôtel Royal, débordant d’affabilité,
Dieppe devait sa prospérité et son élégance, d’une part au comte Woldemar de
Brancas qui, en 1822, s’était inspiré de l’exemple de Brighton pour faire
construire le luxueux établissement des bains de mer, d’autre part à
Marie-Caroline de Bourbon-Sicile, duchesse de Berry, qui, dès 1824, avait
assuré le lancement mondain de la station. À l’exemple de cette baigneuse intrépide,
loucheuse au sang bleu qui se jetait dans les vagues par tous les temps, les
rescapés de l’émigration, la noblesse et l’aristocratie de la Restauration s’étaient
précipités à Dieppe dès qu’elle en avait vanté la salubrité et les plaisirs. Après
les bouleversements de l’Empire, le duc de Bordeaux, fils de la duchesse, peut-être
encouragé par M. de Chateaubriand, avait

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