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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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et blanc, enlevée au temple funéraire du roi à Thèbes, qui, quelques
années plus tôt, avait fait courir tout Londres. Cette statue, Axel s’en
souvint, avait inspiré à Shelley un fort beau sonnet, Ozymandias. Traduit
par Martin Chantenoz, ce poème, appris par cœur, revint à la mémoire d’Axel qui
étonna l’Anglais en récitant :
     
    Ozymandias,
tel est mon nom, je suis le roi des rois :
    Tout-Puissant,
vois mes œuvres, et désespère !
     
    Au jardin zoologique, où Keith, épris d’exotisme, l’entraîna,
Axel put voir une famille de lions et à Saint Martin’s Lane il fut, un peu plus
tard, invité à admirer sans restriction un immense orgue à cylindres, dont la
construction, affirma son guide, avait coûté plus de dix mille livres.
    — Et six organistes sont nécessaires pour le jouer !
ajouta Keith.
    Quand vint l’heure du lunch, le jeune banquier invita Axel à
son club, un des plus huppés de Pall Mall.
    — Comme l’a dit Addison : « Les clubs les
plus célèbres de Londres ont pour fonction essentielle le boire et le manger »,
cita Keith, montrant ainsi que, s’il ignorait Shelley, il connaissait le chroniqueur
du Spectator !
    Au fil des années, les établissements de Pall Mail étaient
devenus les temples du confort britannique. Les belles constructions aux façades
adornées de colonnes de porphyre, percées de hautes fenêtres, pourvues de
perrons sous marquises ouvragées, de portes de chêne ou d’acajou ciré ou
revêtues d’une laque épaisse, bleu navy ou vert bouteille, sur laquelle les
lourds heurtoirs de bronze doré, lustrés par un siècle d’astiquage, prenaient
des allures de sculptures à l’or fin, avaient de quoi impressionner un Vaudois,
peu habitué à de telles magnificences urbaines.
    Au seuil de ces hôtels privés, des portiers, galonnés comme
des amiraux, montaient la garde, prêts à courir au-devant des voitures des
arrivants. Connaissant tous les modèles de marchepieds escamotables, ils
abaissaient l’escalier mobile d’une main, se découvraient de l’autre, avant d’ouvrir
la portière et de saluer l’arrivant, d’une voix claironnante, par son nom et
son titre, d’un ton qui traduisait, à la fois, l’immense plaisir qu’ils avaient
à revoir lord Untel et le respect qu’ils devaient à un baronet ou à un ancien
ministre de Sa Majesté.
    Sitôt passé le seuil, avec l’assurance du seigneur qui
rentre au château, le membre connu recevait le salut du premier concierge, un
homme capable de réciter sans erreur le bottin de la pairie, de pourvoir, avec
une discrétion éprouvée, aux vices variés et parfois inattendus des
irréprochables gentlemen. Après les considérations météorologiques de rigueur
dans ce pays où il pleut deux jours sur trois, l’homme en queue-de-pie et gilet
de piqué blanc osait s’enquérir, suivant les personnes, mais avec la même
obséquiosité, de la santé de l’arrivant, de celle de son épouse – seulement
s’il était connu comme mari fidèle –, de la forme de ses chevaux – fort
bien placés la semaine précédente lors du Derby d’Epsom –, en escomptant
le tuyau qu’un propriétaire ne donne qu’à un ami ou à sa maîtresse.
    John Keith fut ainsi contraint de donner des nouvelles du
lord, son père, et aussi de convenir que la rente française n’allait pas fort. Après
que le concierge l’eut examiné de la tête au pieds, comme s’il évaluait
mentalement le coût de son costume, Axel, hôte privilégié, fut invité à suivre
son guide dans un tour du propriétaire aimablement commenté.
    Dans d’immenses salons dorés, des valets en culotte de peau –
habit aux couleurs du club, galonné de brisques –, gantés de filoselle, n’attendaient
qu’un signe pour servir le whisky de celui-ci ou le sherry de celui-là. Dans la
salle à manger, les tables, couvertes de nappes blanches damassées, dont on se
gardait bien d’écraser les pliures, avaient leur titulaire. On connaissait, suivant
les saisons, deux catégories de meilleures tables : celles dressées contre
les baies vitrées, donnant sur le parc, parfaites au printemps et en été, celles
proches de la cheminée et des calorifères, fortement convoitées par les
rhumatisants dès le commencement de l’automne. La règle, non écrite, voulait
que les plus anciens membres aient le privilège de déjeuner près des fenêtres l’été,
près des foyers l’hiver. Keith révéla à Axel, comme un

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