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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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cockney, voix de crécelle, étaient les premières à
célébrer le couronnement de Victoria. Elles proposaient aux étrangers, pour la
somme exorbitante de six pence, des bouquets aux couleurs nationales, habituellement
vendus un penny. Mitaines trouées, châles effrangés, elles ne semblaient mettre
de coquetterie que dans leur coiffure traditionnelle, un chapeau de paille noire
agrémenté de plumes d’autruche.
    L’une de ces fleuristes, brandissant un petit bouquet, approcha
du cab, dont Axel avait abaissé la vitre. Le cocher s’apprêtait à la chasser du
manche de son fouet quand le Vaudois retint son geste. Il tendit un shilling à
la fille et reçut, en échange, trois œillets à demi fanés et une profonde
révérence.
    —  God Save the Queen… and you, lança la fille
avec une œillade.
    — Ce sont des effrontées, sales et souvent ivrognes, avec
ça, dit le cocher, méprisant.
    — Elles ont de si jolies plumes à leur chapeau, observa
le Vaudois, indulgent.
    — Vous devez savoir, milord, que les moins pauvres
louent ces plumes d’autruche pour faire bonne figure dans la bouquetterie. Les
autres les cueillent dans les boîtes à ordures de Park Lane !
    Tout au long de l’Embankment, des employés vêtus de blouses,
montés sur des échelles, nettoyaient les réverbères qui, la nuit venue, éclairaient
les rues de Londres depuis 1810. Cette scène ayant retenu son attention, Axel
fit des réserves sur les avantages et inconvénients de l’éclairage au gaz, que
Pierre-Antoine Laviron tentait de promouvoir à Genève. Le cocher profita d’un
embouteillage, au débouché de Westminster Bridge, pour renseigner le voyageur.
    —  Yes, indeed, mais ce n’est pas nouveau chez
nous, milord. D’après ce que j’ai lu, il y a peu de temps, dans un journal, le
gaz de houille dispense maintenant sa belle lumière dans soixante-dix mille
demeures et boutiques et, par un réseau de tuyaux de plus de cent miles de long,
éclaire la ville grâce à huit mille réverbères. Cela exige, paraît-il, quarante
mille charretées de douze sacs de charbon par an !
    — Ce qui doit coûter bien cher aux Londoniens, observa
Axel.
    — C’est nous qui payons tout ça avec nos impôts, mais un
bec de gaz d’un demi-pouce de diamètre donne autant de lumière que vingt
chandelles, un bec d’un pouce remplace cent chandelles, un bec de trois pouces
mille chandelles, milord. Et les rues éclairées sont plus sûres, la nuit.
    Arrivé à destination, Axel ajouta une bonne-main appréciable
au montant de la course, ce qui lui valut un ultime conseil du cabman.
    — Prenez garde aux pickpockets, milord. Car leur
population aussi a quintuplé !
    MM. Glyner et Keith abritaient leurs bureaux, comme d’autres
établissements financiers sélects, dans Lombard Street. Le Vaudois fut très
aimablement accueilli et le plus jeune des banquiers, John Keith, fils d’un
membre éminent de la Chambre des lords, se mit aussitôt à la disposition du
visiteur pour le guider dans Londres. On prit rendez-vous pour le lendemain et,
après avoir obtenu les informations financières confidentielles sollicitées par
Laviron, le Veveysan regagna son hôtel.
    Axel choisit de voir d’abord, à Montague House, dans le
paisible quartier de Bloomsbury, les restes des frises et des sculptures du
Parthénon, que Thomas Bruce Elgin avait rapportés de Grèce en 1802, rapt qui
avait, en son temps, scandalisé Martin Chantenoz, dont l’atticisme restait
intransigeant. Comme Axel, tout en admirant les antiques débris, stigmatisait
ce pillage archéologique commis par un ambassadeur de Sa Majesté, le jeune
Keith lui fit remarquer que lord Elgin était un bienfaiteur. N’avait-il pas
rendu accessibles à des milliers de visiteurs ces trésors grecs, que peu de
gens auraient eu l’occasion de voir s’ils étaient restés en place à Athènes ?
    — Et puis, en 1816, ajouta le jeune financier, Elgin a
vendu ces vieilles pierres, pour trente-cinq mille livres, au gouvernement britannique !
N’était-ce pas une bonne affaire ?
    Axel voulut voir aussi, dans la section égyptienne, la
fameuse pierre de Rosette, découverte par les Français, mais tombée aux mains
des Anglais. Champollion avait été le premier à déchiffrer, d’après un relevé, les
hiéroglyphes gravés dans le granit, ce que les Britanniques avaient été incapables
de faire. John Keith voulut aussi montrer au visiteur la statue de Ramsès II,
en granit bleu

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