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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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et Élise, attifées
par des habilleuses d’un pantalon et d’une camisole de bure marron et coiffées
de bonnets de toile huilée qui leur couvraient la tête, de la nuque aux
sourcils, fit pouffer de rire Blaise et Claude. Axel se montra plus étonné qu’amusé
en voyant Élise, si pudibonde, se confier, dans un tel accoutrement, au
guide-baigneur loué un demi-franc pour la baignade.
    Pantalon et veste bleu marine, chapeau de cuir bouilli, les baigneurs-jurés,
ceints d’une écharpe rouge frangée d’or, jouissaient, à Dieppe, de la considération
générale et recevaient de bons salaires. Le bain étant considéré tel un acte
médical et seule justification annoncée d’un séjour au bord de la mer, les
guides-baigneurs étaient chargés d’exécuter les prescriptions des médecins. Ceux-ci
décidaient, pour chacune de leurs patientes, de la durée du bain, du nombre de « mises
à la lame », des mouvements imposés rendant l’immersion.
    Anciens marins recrutés pour leur connaissance des marées, leur
courage, leur politesse, leur dévouement et une irréprochable moralité, ils
bombaient le torse, conscients de leurs responsabilités et jouissant d’une
autorité reconnue et acceptée. Ces hommes partageaient, avec les maris et les
amants des baigneuses, le rare privilège de porter ces femmes dans leurs bras
musculeux pour les exposer à la flagellation des vagues, avant de les immerger
jusqu’au cou, ce qui n’allait pas sans petits cris, exclamations, fausse
frayeur de la part de celles qui se baignaient pour la première fois. Certaines,
saisies par la fraîcheur de l’eau, fessées par la lame, chatouillées par le
reflux, aspergées d’embruns piquants, jetaient leurs bras autour du cou de leur
porteur, se blottissaient sans pudeur contre ces torses puissants, gigotaient, minaudaient –
« Tenez-moi bien serrée » –, toutes manifestations qui n’émouvaient
guère les baigneurs-jurés, impavides, tels des eunuques livrant les odalisques à
Poséidon. Courtois, prévenants, adroits mais impassibles, ils saisissaient leur
pratique d’un bras, sous la pliure du genou, de l’autre entre taille et aisselle,
sans que leurs mains jamais s’égarent sur un sein ou une cuisse, zones interdites.
Les baigneuses confiaient à ces hommes leur vertu en même temps que leur corps.
Il arrivait, avait-on rapporté aux Vaudois, que des femmes légères, épouses
délaissées, solitaires en quête de plaisir, tentent de troubler ces beaux mâles
par des pressions impudiques, de nature à faire apprécier la générosité ou la
fermeté de leurs formes. Elles en étaient, disait-on, pour leurs frais, les
baigneurs-jurés n’hésitant pas à livrer ces dévergondées aux vagues déferlantes,
afin de calmer leurs ardeurs déplacées. L’hôtelier, qui vantait la moralité
irréprochable des guides-baigneurs, reconnut cependant, poussé à la confidence
par Blaise et Claude, que rien n’interdisait aux anges gardiens de la plage d’accepter,
hors des bains, l’invitation d’une cliente prête à prouver sa gratitude de
baigneuse autrement que par un pourboire !
    Blaise, Ribeyre et Axel, ayant suivi les péripéties du
premier bain de leurs épouses, s’empressèrent, une fois ces dames rajustées, de
recueillir leurs impressions devant une tasse de thé.
    Seule Charlotte se plaignit. Son baigneur s’étant tordu le
pied sur un galet l’avait laissée choir dans l’eau, puis rattrapée par une
jambe « comme un lapin suspendu », ce qui lui avait valu de constater
que l’eau de la Manche était salée ! En revanche, Flora et Élise se dirent
enchantées de l’expérience et M me  Métaz, dont le baigneur-juré
avait, en d’autres temps, baigné la duchesse de Berry, annonça qu’elle « irait
à la lame », chaque matin, quand le temps et l’inspecteur des bains le
permettraient.
    — C’est vivifiant, tonique et assez amusant. Je me sens
toute ragaillardie et ça donne de l’appétit, confia-t-elle à son mari en
beurrant un toast.
    Après trois jours passés à Dieppe, les Fontsalte, les
Ribeyre de Béran et Axel embarquèrent pour l’Angleterre sur le Swift, un
nouveau vapeur de la General Steam Navigation Company, qui reliait Dieppe à
Newhaven, port récemment aménagé par les Anglais, soucieux d’améliorer le
service trans-Manche. L’adjudant Trévotte, houspillant les matelots britanniques,
surveilla l’amarrage de la berline du général, sous le regard

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