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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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la pénombre un piano. Puis
vint la pianiste, dont l’entrée fut saluée par quelques bravos plus courtois qu’enthousiastes.
    Sans le pseudonyme, pour lui transparent de miss Pendle,
Axel n’eût certes pas reconnu Janet dans la femme, trop blonde et d’une
maigreur affligeante, qui vint s’asseoir au piano, sans un regard ni un
mouvement de tête vers le public. Encore qu’il retrouvât, dans la lenteur
distinguée et insolente de sa démarche, le nonchaloir atavique de la fille de
Christopher, qui agaçait si fort lady Moore. Dans sa robe démodée, malgré ses
cheveux décolorés, Janet conservait un maintien assuré, buste droit, menton
levé, bras immobiles, allure inimitable, propre aux femmes de l’aristocratie.
    Tant de souvenirs confus et doux-amers revinrent soudain à l’esprit
d’Axel Métaz, qu’il eût été incapable de donner le titre des pièces que Janet
interpréta, avec aisance et clarté, sans chercher d’effet, sobre comme un
automate. Elle semblait jouer pour elle-même, comme si elle eût été seule dans
le salon de musique de Pendlemoore où, vingt ans plus tôt, Axel l’avait
entendue interpréter Haendel pour la première fois.
    Tandis qu’elle jouait, il se prit à remarquer que cette
femme, qu’il avait connue adolescente, comptait, à deux mois près, le même âge
que lui, trente-sept ans révolus. Il eût facilement donné dix ans de plus à la
pianiste tant, à distance et dans la clarté blafarde du gaz, Janet lui parut
sèche, fanée, lasse. Jeune fille naïve et d’une sentimentalité mièvre, elle
avait naguère souffert, non seulement de son dédain mais aussi, surtout
peut-être, de la perversité de ses propres parents. Axel se souvenait de la
nuit tragique qui avait mis fin à ses relations avec les Moore. Les époux
disparus, il restait le seul protagoniste vivant de ce drame dont Janet, l’innocente,
assumait aujourd’hui encore les conséquences. À cet instant, il regretta de n’avoir
pas su apprécier la force du sentiment qu’alors elle lui portait. Il eût voulu
lui prendre la main et, très tendrement, faire amende honorable. Mais la femme
blondasse qui touchait le clavier d’un piano ferraillant dans cette salle de
café-concert, qu’avait-elle de commun avec la jeune aristocrate, fraîche, insouciante
et frivole, à qui la vie promettait une suite ininterrompue de réjouissances et
de plaisirs ? Lady Janet, car fille de lord elle était lady dès le berceau,
n’eût jamais eu, autrefois, un regard pour miss Pendle. Si, d’aventure, elle
était venue un soir chez Evans, elle n’eût même pas interrompu son bavardage, telles
les femmes élégantes et hautaines qui dînaient à deux pas d’Axel, en compagnie
d’hommes en habit, et pour qui la pianiste n’était qu’un élément de décor, un
bruit harmonieux.
    L’intermède pianistique terminé, Janet, applaudie par
quelques rares mélomanes, qui goûtaient son jeu, quitta la salle, ignorant
toujours le public qui, un instant plus tard, manifesta bruyamment sa
satisfaction en voyant apparaître sur scène un prestidigitateur fameux, vedette
du moment.
    Le maître d’hôtel, interrogé par Axel, confirma que miss Pendle
jouerait encore deux fois avant la clôture. Venu avec l’intention de faire
passer sa carte à Janet, pour lui demander un rendez-vous. Axel se sentit
soudain indécis. À quoi bon signaler sa présence ? Ne valait-il pas mieux
quitter Londres sans chercher à la revoir ? Remonter le fleuve du temps
est une entreprise vaine et décevante. Regarder en arrière, nager à
contre-courant, forcer un être à se reconnaître pour ce qu’il n’est plus, participe
d’une certaine forme de cruauté, quand le présent n’a pas tenu les promesses d’un
riant passé. Tenter de raviver les souvenirs, c’est comme gratter une à une les
couches de mauvaise peinture que des barbouilleurs irrespectueux et en mal de
support ont étalé sur une toile peinte autrefois et oubliée dans un grenier. S’obstiner
à croire que le présent est irréel et le passé seul authentique est un jeu
malsain et inutile, une gageure faustienne, se dit-il, bien conscient d’agiter,
Vaudois réaliste, un très ancien dilemme, la banale incapacité de l’homme à
inverser la marche du temps.
    Le prestidigitateur ayant achevé son numéro sous des vivats
et des rappels, Janet revint, dans un silence relatif et une indifférence totale,
se mettre au piano. C’est alors qu’Axel, passant outre

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