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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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devenu inutile, il était réduit au
chômage.
    Si les associations ouvrières, autorisées depuis 1824, ne
disposaient que de droits limités et ne pouvaient grouper que des ouvriers
qualifiés appartenant à la même industrie, leur transformation en trade-unions
fédérés constituerait bientôt une force capable de déclencher, quand bon lui
semblerait, une grève générale et, peut-être, une insurrection. C’est pourquoi
John Keith et ses semblables se montraient prêts à jeter du lest, c’est-à-dire
à œuvrer pour que la misère, le chômage et le mécontentement « restent
cantonnés dans des limites supportables », comme ils osaient le dire. Conserver
leurs privilèges politiques, leur situation prépondérante dans les affaires, la
propriété des terres agricoles, leurs châteaux et leur mode de vie hors d’atteinte
des convoitises populaires : tel était le but réel des nantis
progressistes !
    Émergeant de sa réflexion, Axel voulut évaluer la qualité et
la sincérité de l’engagement de son interlocuteur.
    — J’ai lu récemment le discours que prononça lord Byron
devant la Chambre des pairs, après la répression des émeutes de Nottingham, en
1811, lança-t-il.
    — Les émeutiers, des ouvriers en bonneterie, avaient
brisé des centaines de métiers à tisser. Dix-sept de ces briseurs de machines
furent justement condamnés à la déportation, précisa le banquier.
    Puis il s’empressa d’ajouter :
    — Il s’agissait de bandits, armés de pistolets, de
marteaux et de haches, et Byron, poète aux mœurs dissolues et anarchiste, s’est
laissé apitoyer par le sort mérité de ces mauvaises gens, monsieur.
    — Cependant, ce que dit le poète aux pairs, ce jour-là,
ne manquait pas de bon sens. Je crois pouvoir citer à peu près ses paroles, car
j’ai commenté ce discours avec mon mentor, longtemps après qu’il a été prononcé.
Byron a dit : « Tout en admettant que ces troubles existent à un
degré alarmant, on ne peut nier qu’ils aient pour cause la plus épouvantable
misère. La persévérance de ces malheureux dans leurs actes tend à prouver que
rien, si ce n’est le besoin, n’aurait pu pousser une grande partie de ce peuple,
autrefois industrieux et honnête, à commettre des excès aussi préjudiciables
pour eux, pour leurs familles et la société. »
    — On pourrait prévenir le retour de tels événements, concéda
Keith, mais il faudrait une volonté politique de combattre la misère. On ne
peut compter pour cela sur les whigs qui nous gouvernent. Depuis les rébellions
de 1830, année fertile en grèves et en émeutes, les conditions de vie des
ouvriers et des paysans ne se sont guère améliorées. En fait, tout cela
bouillonne depuis 1815, depuis la fin de l’Empire. Autour de moi, peu de gens
veulent admettre que les idées de la Révolution française, exportées par
Napoléon et ses armées, ont suscité dans le peuple, même en Angleterre où il n’a
jamais mis le pied, comme ailleurs en Europe, un engouement pour des principes
dont il serait vain de nier l’humanité et la générosité. C’est ce qui explique,
en partie, que les ouvriers et les paysans ont maintenant des exigences et
osent les manifester. C’est peut-être pourquoi, aussi, votre maréchal Soult a
été si bien accueilli par le peuple de Londres, acheva Keith avec un sourire.
    — En somme, même mort, l’ogre corse continue à vous
créer des soucis ! plaisanta Métaz.
    — Ou des espérances, monsieur, car, n’en dites jamais
rien à mon père qui me tient déjà pour admirateur de Bonaparte, législateur de
génie, ce qui est vrai, et pour républicain, ce qui est faux, je suis de ceux
qui estiment la société dans laquelle nous vivons injuste et, pour certains, cruelle.
Plusieurs doctrines portant sur le mode de société idéale s’affrontent actuellement.
Les utilitaristes, adeptes du défunt Jérémie Bentham, dont la Convention avait
fait un citoyen français, et qui croient que tout ce qui est bon est utile et
inversement ; les zélateurs du réalisme économique de Malthus, qui prônent
le célibat et la chasteté et parfois l’inactivité, pour limiter le développement
géométrique de la race humaine que la terre ne pourra plus nourrir ; les
tenants du chartisme, soutenus par l’Association des travailleurs londoniens, qui
réclament notamment le suffrage universel masculin, l’éligibilité des gens
dépourvus de propriétés, la limitation

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