Romandie
premiers jours d’août 1838, les journaux avaient
révélé que l’ambassadeur de France en Suisse, le duc de Montebello, venait de demander
au Directoire fédéral l’expulsion du prince Louis Napoléon. Le prince était
revenu clandestinement de son exil américain, un an plus tôt, pour recueillir, le
5 octobre 1837, le dernier souffle de sa mère, la reine Hortense. Il
résidait, depuis, au château d’Arenenberg.
Louis Napoléon ne pouvait plus évoquer la piété filiale qui
l’eût retenu près de la sépulture maternelle, puisque le corps de la belle-sœur
de Napoléon avait été transféré à Rueil et reposait, depuis le 8 janvier
1838, comme la défunte reine de Hollande l’avait souhaité, près du mausolée de
sa mère, l’impératrice Joséphine, dans la chapelle de la Malmaison.
Dans sa note au Directoire fédéral, le représentant de
Louis-Philippe dénonçait la mansuétude des autorités helvétiques à l’égard d’un
ennemi déclaré de la monarchie : « Après les événements de Strasbourg
et l’acte de généreuse clémence dont Louis Napoléon avait été l’objet, le roi
des Français ne devait pas s’attendre qu’un pays ami, tel que la Suisse, et
avec lequel les anciennes relations de bon voisinage avaient été naguère si
heureusement rétablies, souffrirait que Louis Bonaparte revînt sur son territoire
et, au mépris de toutes les obligations que lui imposait la reconnaissance, osât
y renouveler de criminelles intrigues et avouer hautement des prétentions
insensées, et que leur folie même ne peut plus absoudre depuis l’attentat de
Strasbourg. »
Blaise de Fontsalte et Claude Ribeyre de Béran qui, depuis
leur escapade strasbourgeoise, avaient rompu toutes relations avec le prétendant,
savaient cependant que Louis Napoléon ne renonçait pas à ses ambitions.
À Rive-Reine, au soir d’une partie de chasse au canard sur
le lac, les deux généraux évoquèrent, devant Axel, le conflit diplomatique provoqué
par la note française.
— Quand Napoléon Auguste, fils de notre ami Lannes et
deuxième duc de Montebello, par la gloire héritée de son père, soutient que
Louis Napoléon fait publier en Allemagne des pamphlets contre Louis-Philippe et
qu’Arenenberg est un « centre d’intrigues », il n’a pas tort. Seulement,
il oublie que le prince est bel et bien citoyen de Thurgovie, donc Suisse
depuis six ans, et possède même un brevet de capitaine de l’armée fédérale. On
ne voit pas comment les Suisses, si jaloux de leur indépendance, accepteraient
d’expulser un de leurs ressortissants, observa Ribeyre.
— Cette citoyenneté est tout de même un peu équivoque
et la France a beau jeu de se plaindre, car il est difficile d’admettre que
Louis Napoléon se dise à la fois Suisse et prétendant au trône de France, s’étonna
Axel.
Il saisit un journal posé sur un guéridon, l’ouvrit et lut :
— « Qu’il se dise Français toutes les fois qu’il
conçoit l’espérance de troubler sa patrie au profit de ses projets, et citoyen
de Thurgovie quand le gouvernement de sa patrie veut prévenir le retour de ses
criminelles tentatives », voilà ce qu’écrit, en bonne logique, l’ambassadeur
de France, compléta Axel.
— En tout cas, nous allons vers une épreuve de force. Il
serait cocasse que la France et la Suisse en viennent aux armes. Une division
française fait mouvement vers la frontière suisse, sans doute pour intimider
les Genevois, dont on dit qu’ils sont prêts à opposer un refus catégorique à l’exigence
française, précisa Claude.
Au cours des jours suivants, la note du duc de Montebello
provoqua une vive agitation dans la Confédération. On vit même circuler des
pétitions, portant des milliers de signatures, pour exiger « une résistance
énergique aux prétentions de la France ». La Diète fédérale, bien
embarrassée par la demande française, commença par nommer une commission qui
fut chargée d’examiner le cas Louis Napoléon. Les commissaires, divisés entre
partisans et adversaires du prince, incapables d’arrêter une attitude commune, décidèrent
de ne rien décider et renvoyèrent l’affaire à l’État de Thurgovie. Ce dernier, par
la voix de son député à la Diète, fit savoir que le Grand Conseil du canton
repoussait, de la manière la plus positive, la demande tendant à ce que le
prince quittât le territoire de la Confédération, « vu que Louis Napoléon
Bonaparte a
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