Romandie
penser des académiciens français d’un
philosophe dont l’influence politique est reconnue, qui se mêle de leur donner
des conseils touchant à la colonisation de l’Algérie et souhaite une prompte
reconnaissance du droit des Maures, tandis que les bandes d’Abd el-Kader
massacrent les colons de la Mitidja ! Ne cherchez pas ailleurs, Martin. Il
y avait là de quoi priver notre Sismondi des dix mille francs du prix Gobert, pécule
qu’il eût aimé recevoir, étant donné son peu de ressources, expliqua Vuippens.
— Ces Arabes, dont le sort émeut Sismondi, peut-être s’en
prendront-ils un jour aux Suisses, puisqu’une société concessionnaire genevoise
a créé un premier village qui va recevoir cinquante familles de colons à Aïn-el-Arnat,
à une heure et quart de marche de Sétif. Pierre-Antoine Laviron, qui n’a pas la
fibre colonialiste, a cependant donné son obole pour la construction d’une
église et d’un presbytère. D’après ce qu’affirment les fondateurs de la
Compagnie des colonies suisses de Sétif, installée 257, rue des Granges, à
Genève, on peut faire pousser des céréales, notamment du froment « à barbe
dure », cultiver les arbres fruitiers, élever du bétail, dit Axel qui, sollicité,
avait refusé d’acquérir des actions d’une entreprise coloniale installée dans
une contrée qui ne connaîtrait peut-être jamais la paix.
Le fait que son ami et banquier lui ait confié, avec une
grimace significative, que le futur village suisse serait ceinturé par un fossé
et protégé de parapets « pour prévenir tout maraudage », prouvait
assez que la vie à Aïn-el-Arnat ne serait pas de tout repos !
La visite de Victor Hugo, la déconvenue de Sismondi et les affaires
d’Algérie furent vite oubliées, car les détails sur les événements sanglants
qui s’étaient déroulés à Zurich, le 6 septembre, commençaient à être
révélés. Il s’agissait d’une véritable révolution, qui venait de jeter à bas le
gouvernement issu de la régénération politique de 1830. Déjà, la création d’une
université laïque – certains disaient même d’esprit libre penseur – agitait
depuis un an les milieux conservateurs zurichois. La nomination, à la direction
de l’École normale, d’un Allemand dont le but avoué était de former « des
éducateurs pratiques, de vraies personnalités entièrement indépendantes de l’Église »
avait transformé la grogne des protestants en colère. Quand, au mois de février,
le gouvernement avait nommé à la chaire de théologie de l’université le professeur
David Friedrich Strauss [129] ,
qui tenait les Évangiles pour des fables et venait de publier une Vie de
Jésus un peu trop humaine, un Comité de défense de la foi avait fait
circuler des pétitions exigeant la révocation de ce théologien dévoyé. Devant l’ampleur
des protestations, le Conseil d’État avait mis à la retraite le professeur
Strauss avant même son premier cours.
Cette concession faite aux conservateurs, loin de réduire l’agitation,
avait encouragé les réclamations. Depuis l’été 1839, l’opposition demandait que
soient respectés, à l’université comme ailleurs, les principes de la religion
réformée et le retour, à la direction de l’Enseignement supérieur, de protestants
de stricte obédience. Quinze mille personnes s’étaient rassemblées le 2 septembre
à Kloten, pour appuyer ces exigences. Le bruit ayant couru que le gouvernement
radical, désorienté, avait sollicité l’assistance d’autres cantons gouvernés
par des radicaux pour juguler, par la force, la fronde religieuse, les
pétitionnaires s’étaient armés et, le 6 septembre, près de dix mille hommes
étaient arrivés à Zurich, pour assiéger le palais du gouvernement. La milice
cantonale, peu impressionnée par les cantiques que chantaient les manifestants,
avait ouvert le feu, tuant sept paysans, en blessant d’autres. Empochant leurs
livres de psaumes et brandissant leurs armes, les pétitionnaires, indignés par
la réaction des radicaux et la violence sanguinaire de la répression, étaient
passés à la contre-attaque. Le nombre et la foi étant de leur côté, le gouvernement
prit la seule décision sage et envoya le conseiller d’État Hegetschweiler
annoncer la démission collective du Conseil d’État. Le pauvre homme n’avait pas
eu le temps de lire la proclamation censée assurer le retour au calme. Une
balle anonyme
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