Romandie
me Grenier, née de Molin de
Montagny. Dans ce havre de verdure harmonieusement dessiné, les pèlerins
admirateurs de Gibbon pouvaient visiter, comme autrefois William Beckford et
lord Byron, le pavillon dit la Grotte, souvent occupé par l’historien anglais, qui
aimait à méditer sous les acacias. L’architecte, respectueux du souvenir du
grand écrivain, avait conservé ces beaux arbres, sous lesquels folâtraient
maintenant les touristes.
Louis Vuippens, pour qui Vevey, qui ne comptait que quatre
mille cinq cents habitants, supplantait Lausanne par son décor, son élégance et
le point de vue que la ville offrait sur les montagnes de Savoie, s’empressa de
révéler, avec un rien de chauvinisme, que sa ville n’était pas en reste. Après
avoir rappelé les embellissements en cours, grâce au legs Perdonnet, il
expliqua que la transformation du château de l’Aile, élevé à la place des
antiques halles de Vevey et qui portait encore le nom d’un relais de 1545, était
en cours. L’ancienne auberge, propriété de la commune, avait été vendue en 1680
à Adam Chatelain, qui l’avait cédée à Vincent Hertner, d’une famille de
marchands de Saint-Gall établis à Lyon et à Genève. Hertner avait flanqué l’édifice
banal de tours inutiles, propres cependant à le faire passer pour demeure
seigneuriale et nommer pompeusement château. En 1698, le neveu de Hertner, Jean-Martin
Couvreu de Deckersberg, un Flamand, banquier à Londres puis à Lyon, devenu
bourgeois de Vevey, avait reçu la bâtisse en héritage et s’y était installé.
— C’est un descendant de ce Jean-Martin, Jacques-Édouard
Couvreu, qui a décidé de transformer le château de l’Aile, pour y accueillir sa
future femme, une Genevoise, révéla Vuippens, avant de donner les détails que
tout le monde espérait.
— Comme Perdonnet, reprit-il, Couvreu a fait, l’an
dernier, un legs important à Vevey, car il veut concourir à l’embellissement de
la ville. Il participe à la construction d’un nouveau quai, qu’on nomme déjà
promenade de l’Aile, et vient d’y faire établir un limnimètre, appareil destiné
à indiquer le niveau des eaux du lac. En tant que médecin, je dois reconnaître
que cet homme a le souci de la santé et du bien-être de ses contemporains. Il a
financé la fondation de l’Asile des jeunes filles pauvres et abandonnées en
1828 ; il soutient de ses deniers l’hospice du Samaritain et la maison des
convalescents du Petit-Clos et c’est à lui que l’on doit l’organisation de
cours du soir pour les ouvriers. Il veut faire du château de ses ancêtres une
résidence confortable, d’une architecture originale.
— Il semble qu’il y ait un peu de vanité dans tout cela.
M. Couvreu veut jouer au châtelain du Léman, dit Élise, acide.
Vuippens négligea l’interruption.
— Comme il a vécu en Angleterre, Couvreu a peut-être
été influencé par Walter Scott. Il a vu Kenilworth, ou d’autres bâtisses
médiévales du même genre, qui relèvent du néo-gothique anglais. En tout cas, il
a fait appel à l’architecte Philippe Franel [133] ,
un Veveysan qui, après consultation de Jacques-Louis Brocher, de Genève, a
établi un projet très flatteur. Le Lausannois Henri Perregaux [134] a été chargé de
la distribution et de la décoration intérieures.
Axel, comme tous les bourgeois de Vevey, suivait de près les
transformations de sa ville.
— L’an dernier, dit-il, Couvreu a demandé et obtenu de
la municipalité l’autorisation d’ouvrir des fenêtres et de créer des balcons
sur les façades de son château. Les travaux devraient bientôt commencer.
— La pose de la première pierre doit avoir lieu le 16 mars
et j’y suis invité, dit Chantenoz.
Ceux qui avaient eu le privilège de voir les plans, ou de s’entretenir
avec le propriétaire, savaient que le bâtiment projeté serait cantonné de
tourelles carrées et comporterait deux étages sur rez-de-chaussée, abrités sous
un vaste toit à croupe avec épis de faîtage. Côté lac, le rez-de-chaussée surélevé,
éclairé par de hautes portes-fenêtres, ouvrirait sur une terrasse cernée d’un
garde-corps. Les ferronneries, remplacées par des éléments de fonte moulée, offriraient
aux regards des passants des trilobés aveugles, des rosaces, des baies
irrégulières, en arc Tudor. Des arabesques orneraient les balustres des balcons.
Les façades, tant côté lac que celle donnant sur la place du
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