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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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donné à son parrain, sous un saule
des Pâquis, l’été précédent, la jeune fille se gardait de toute démonstration
de familiarité. Sans rien laisser paraître, Axel en éprouvait d’autant plus de
dépit que sa filleule – « trop grande et trop fluette à dix-sept ans
révolus », jugeait, en médecin et en homme, Vuippens – était plus
charmante que belle, élégante, radieuse et, à son égard, d’une désinvolture
agaçante et voulue. Quand, après trois jours passés près d’elle à Beauregard, il
regagna Vevey avec Élise, il estima avoir perdu la chance de vivre un fol amour
avec l’orpheline. Chance et amour qu’il eût été malséant de regretter.
     
    Le maître de Rive-Reine s’obstinait à considérer que les
hasards de la vie lui avaient donné deux pères successifs. Par une sorte d’affectueuse
loyauté à l’égard de celui qui l’avait nourri et élevé, il adressait chaque
année des vœux à Guillaume Métaz. Installé depuis bientôt vingt ans aux États-Unis,
où il avait fondé une nouvelle famille et bâti une enviable fortune dans le
commerce et les affaires, le Vaudois, devenu citoyen américain, répondait ponctuellement.
    Sa longue lettre annuelle, livrée à Rive-Reine fin janvier 1840,
constituait une sorte de chronique de grand bourgeois bostonien. Protestant, libéral,
membre du Liberty Party, émanation de l’American Anti-Slavery Society, Guillaume
Métaz était, dans son milieu, celui du grand négoce, un de ces hommes dont on
appréciait à la fois la circonspection et la pugnacité.
    Après avoir, une fois de plus, déploré qu’Axel ne se fût pas
encore décidé à traverser l’Atlantique pour lui rendre « l’ultime visite »
qu’il espérait, Guillaume rappelait son âge, soixante-huit ans, et signalait
que, depuis 1838, les vapeurs de la British and American Steam Navigation, reliaient
régulièrement Londres à New York en moins de vingt jours. Le Great Eastern, un
navire anglais de 1 600 tonnes, avait même accompli la traversée en quinze
jours. Cela sous-entendait qu’Axel n’avait plus aucune raison de différer un
voyage « qui serait la seule preuve de l’affection filiale que tu dis
encore me conserver », écrivait Guillaume.
    « Puisque ma santé semble t’intéresser, ajoutait-il, sache
que je remercie, chaque jour, le Seigneur de la maintenir et de me laisser assez
de force, malgré une attaque de goutte par-ci par-là, pour m’occuper de mes
nombreuses affaires, voyager, militer pour l’abolition de l’esclavage, honteuse
pratique que les planteurs du Sud nomment, par euphémisme, institution
particulière et se soucient peu de réformer.
    » À ce propos, j’ai dû rompre toute relation avec les
parents de mon gendre Lewis Calver, le mari de Blandine. Ces propriétaires de
plantations établies au bord du Mississippi, en Louisiane, achètent et vendent
des Noirs comme s’il s’agissait de bêtes de somme. Ils louent même, dix ou
vingt dollars la journée, des dogues dressés pour rattraper les esclaves
marrons, c’est-à-dire ceux qui brisent leurs chaînes et s’efforcent de gagner
les États du Nord, où l’esclavage n’existe pas. Une fois repris, les fugitifs
sont fouettés, isolés de leur famille. Il arrive même qu’on leur coupe je ne
sais quel tendon du mollet, pour les empêcher de courir.
    » Mon gendre, qui commande maintenant en second un gunboat
d e la Marine des États-Unis, a participé, l’été dernier, à la capture d’un
navire négrier espagnol, Amistad, dont la cargaison humaine s’était
révoltée. Les Noirs, après avoir tué les officiers et les membres de l’équipage,
naviguaient dans les eaux américaines, pour tenter de rejoindre un port du
Connecticut, où ils comptaient recouvrer la liberté. Les marins, originaires
des États du Sud, comme mon gendre, étaient d’avis de pendre les meneurs de la
mutinerie et de rendre les autres Noirs à leurs propriétaires, des planteurs cubains [136] . Tu admettras
que ce sont des mœurs d’un autre âge et, bien que Blandine soit peinée par mon
attitude, je ne puis continuer à fréquenter des esclavagistes, de plus en plus
décriés et dont je condamne les façons, ce qui va quelquefois à l’encontre de
mes intérêts matériels.
    » Néanmoins, notre tâche sera rude, car les esclavagistes
sont puissants dans ce pays. Depuis l’admission dans l’Union de l’Arkansas, en
1836, et du Michigan, en 1837, le pays compte

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