Romandie
sentiment qu’il
refusait.
Les vendanges 1841 furent modestes, dans une grande partie
du vignoble de Lavaux. La tempête de juillet, responsable d’un manque à gagner
pour tous ceux qui vivaient de la vigne, fut étudiée par plusieurs
météorologues éminents et par un naturaliste vaudois, M. Blanchet. Le
savant expliquait doctement : « Le vent du sud-ouest, venant de
Genève, appartient à la catégorie des grands courants horizontaux, qui
commencent à souffler dans les régions supérieures de l’atmosphère avant de se
déchaîner dans les régions inférieures. »
— On s’en moque bien, que la science explique nos
malheurs ! Seul le Bon Dieu sait d’où ils viennent, commentait Françoise.
— Tout ce qui vient de Genève est mauvais, même le vent !
disait Pernette qui, ne connaissant que la vaudaire, avait appris à Lazlo le
dicton veveysan : « Vaudaire d’au matin fa véri les moulins ; vaudaire
de la né fa chelzi les golliés [148] . »
Le vin de Belle-Ombre prit, du fait de la pénurie, une valeur
supérieure à celle de l’année précédente. En attendant la fermentation
hivernale et le transvasage de février, nécessaire pour oxygéner le vin, enlever
la lie corrompue et, parfois, la remplacer par une autre, dernière étape de la
vinification, Axel n’eut pas à faire d’effort pour placer son cru, connu et
apprécié dans les cantons limitrophes du pays de Vaud. Il dut, en revanche, se
rendre à Genève pour obtenir de quelques architectes et bâtisseurs, grands
consommateurs de pierre de Meillerie et bois de charpente, le règlement de
factures impayées. Aux dommages causés à Rive-Reine, au vignoble et au chantier
des bateaux, s’ajoutait la perception de l’impôt communal, toutes dépenses qui
l’obligeaient à ces démarches humiliantes. Pierre-Antoine Laviron aurait pu se
charger de ces rappels mais la fierté vaudoise retenait Axel de s’étendre sur
les conséquences financières d’une colère de la nature supportée comme telle
par tous les vignerons.
Lors d’un séjour à Genève, fin novembre, il trouva la ville
à nouveau en proie à la fièvre politique. La situation, que le cercle Fontsalte
avait connue quelques mois plus tôt, se serait développée en palabres, réunions
de comités, pamphlets et rassemblements épisodiques à la Coulouvrenière, jusqu’au
moment où les premières réformes graduelles eussent été annoncées, si les
passions n’avaient pas été attisées par ce qu’on nommait depuis quelque temps l’affaire
des couvents d’Argovie. L’incident remontait au commencement de l’année en
cours.
Au mépris du Pacte fédéral, ciment patriotique de la
Confédération qui garantissait, par son article 12, l’existence des
communautés religieuses catholiques et la conservation de leurs biens, le Grand
Conseil argovien, composé de radicaux anticléricaux, avait décidé, le 13 janvier
1841, la fermeture de huit couvents installés sur le territoire cantonal, sous
prétexte que moines et nonnes se mêlaient de politique ! Le gouvernement
argovien voyait la main des papistes dans un soulèvement paysan qui avait
endeuillé le district catholique de la vallée de la Reuss. La répression avait
fait neuf morts chez les émeutiers et Augustin Keller, anticlérical forcené, s’était
écrié, devant le Grand Conseil d’Argovie : « Aussi loin que s’étend l’ombre
d’un moine, l’herbe ne pousse plus. »
— C’est faire de nos braves religieux des disciples d’Attila,
afin d’attirer sur eux la vindicte des anti-papistes ! s’était indignée
Charlotte en apprenant ce qui se passait en Argovie.
Comme tous les catholiques suisses, elle n’avait pas été
totalement satisfaite en découvrant, au mois d’avril, que si la Diète fédérale
avait ordonné et obtenu la réouverture de quatre couvents de femmes, elle se
résignait, au mépris de ses propres règles, à la suppression de quatre
monastères d’hommes. Quant à la restitution des biens confisqués, plus de six
millions de francs, dont les Argoviens entendaient disposer pour les besoins
des églises, des écoles et de l’assistance publique, elle apparaissait fort
aléatoire. Malgré l’émotion soulevée par les décisions iniques du gouvernement
argovien dans d’autres cantons et, même, au-delà des frontières helvétiques, la
Diète s’était accommodée, par souci d’apaisement, d’une sorte de jugement de
Salomon qui ne fut jamais
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