Romandie
bonne justice. L’outrecuidance argovienne était ainsi
absoute. Cette entorse au Pacte fédéral incitait maintenant les uns au radicalisme
absolu, les autres, opposés aux idées nouvelles, à un ultramontanisme actif.
Les tribunaux avaient, certes, innocenté tous les religieux
incriminés mais les autorités argoviennes assuraient sans rire que leur conviction
morale suffisait à établir l’ingérence des moines dans la politique cantonale. Les
gouvernements radicaux de Berne, de Thurgovie, du Tessin et de Bâle-Campagne
approuvaient cette attitude en affirmant que les couvents constituaient des
foyers d’opposition à l’ordre démocratique nouveau ! En revanche, Lucerne –
les conservateurs y avaient remporté en mai les élections au Grand Conseil et
fait adopter une nouvelle Constitution – et d’autres cantons, à majorité
catholique, condamnaient le sectarisme des cantons régénérés, susceptible de
rallumer, en Suisse, une guerre de religion.
Les radicaux genevois ne cachaient pas leur sympathie pour
les Argoviens. Ils avaient, aussitôt, désapprouvé le Conseil représentatif de
la République qui, entérinant la décision de la Diète fédérale, réclamait, en
sus, le strict respect de l’article 12 du Pacte. Cette nouvelle cause de
tension entre les radicaux et le gouvernement s’était traduite par des
manifestations, au cours desquelles des orateurs avaient fait un amalgame
démagogique entre les revendications politiques, déjà connues, et l’indispensable
fermeté protestante, face au catholicisme qui allait se développant dans la
cité de Calvin.
Le zèle débridé de l’abbé Vuarin n’était pas étranger au
mécontentement des Genevois. L’intrépide curé de Genève avait fondé une école à
Plainpalais et appelé comme enseignants des frères de la Doctrine chrétienne. Il
venait d’acquérir récemment des bâtiments situés entre la route de Carouge et
la rue des Grands-Philosophes, où il comptait installer un hôpital, un
orphelinat tenu par des sœurs de Saint-Vincent-de-Paul et une école pour
adultes, animée par des frères. Ainsi, peu à peu, les papistes confortaient le
droit de cité que la République de Genève avait été contrainte de leur
reconnaître en 1815, après l’annexion des vingt-deux communes catholiques
enlevées à la Savoie par le traité de Turin. En élargissant son territoire, la
République avait définitivement perdu son aura de Rome protestante. On comptait
déjà, dans le canton, plus de vingt-cinq mille catholiques face à trente-quatre
mille protestants. Depuis 1822, la population papiste avait augmenté de plus de
35 %, alors que le nombre des protestants demeurait à peu près stable. De
quoi inquiéter fortement la vénérable Compagnie des pasteurs, d’autant plus que
James Fazy et les radicaux proposaient de rendre constitutionnelle la liberté
religieuse.
En attendant, les autorités se défendaient d’encourager l’implantation
des papistes. L’additif au budget de 1837 n’avait alloué que 1 650 francs
pour l’entretien des écoles primaires catholiques, alors que Genève avait, cette
année-là, consacré plus de 17 000 francs au Musée académique, 8 000 francs
à la Société des Arts, 5 200 francs à l’Exercice de l’Arquebuse, de
la Carabine et de la Navigation, dépensé 13 929 francs pour faire
pivoter sur son piédestal la statue de Jean-Jacques Rousseau, afin que le philosophe
tournât désormais le dos à la ville et regardât vers le lac !
À partir de la mi-novembre, on avait constaté une
inquiétante recrudescence de la tension. Le Conseil d’État, informé des
agissements des meneurs radicaux, avait aussitôt levé des troupes pour assurer
le maintien de l’ordre lors de la réunion du Conseil représentatif, avancée au
22 novembre, sous la pression de nombreux élus sensibles à la
détérioration du climat urbain. Force fut de constater que les miliciens
appelés ne répondaient que partiellement et sans aucun enthousiasme civique aux
convocations. Les défections se révélèrent bientôt si nombreuses qu’une
compagnie de chasseurs, rassemblée à la porte de Rive, se trouva réduite à son
capitaine, quatre sous-officiers et sept soldats ! Il fut malaisé de
trouver, dans Genève, sept cents hommes décidés à défendre les autorités
légales contre d’éventuels émeutiers.
Il fallut convoquer les bataillons du premier district, plus
deux compagnies de grenadiers,
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