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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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inondées,
des toitures avaient été soulevées, parfois emportées, des arbres déracinés, et
le glacis, récemment construit au bas de la place du Marché, était en partie
détruit. Sur le chantier des bateaux, l’antique enseigne Métaz et Rudmeyer, respectueusement
conservée par Axel, gisait dans la boue, entre deux barques en construction, couchées
sur le flanc, le lac en fureur ayant abattu les étais.
    Ceux qui s’en tiraient sans dommages s’apitoyaient sur les
dégâts causés au nouveau quai de l’Aile, dû à la générosité de M. Perdonnet.
Un bloc de marbre de cinquante quintaux avait été déplacé de neuf mètres et l’énorme
muraille, solidement construite, apparaissait trouée en plusieurs endroits
comme un fromage de la Gruyère. Il en était de même de la terrasse du château de
La Tour-de-Peilz qui, après avoir résisté pendant de longues années aux efforts
des vagues, montrait cinq larges brèches, par lesquelles l’eau drainait la
terre des plates-bandes. On racontait qu’à Saint-Saphorin les habitants des
maisons situées au bas du village avaient dû abandonner leurs demeures qui
menaçaient de s’écrouler.
    De Villeneuve à Vevey et de Vevey à Cully la tempête avait
sévi avec la même intensité. La route de Lausanne était coupée au creux de Plan
et à Glérolles et trois bateaux s’étaient fracassés contre les rochers. Les
anciens se souvenaient du gros orage de 1817, qui avait duré plusieurs jours
pendant lesquels le niveau du lac était monte de quinze pouces. Mais, cette
année-là, le vent ne s’en était pas mêlé avec autant de fureur.
    Tandis que les femmes, aidées de Lazlo, nettoyaient et
remettaient de l’ordre à Rive-Reine, Axel, accompagné de Samuel Fornaz et de Régis
Valeyres, se rendit dans ses vignes. En montant à Belle-Ombre, qu’il voulut
voir la première, les trois hommes ne rencontrèrent que des vignerons
consternés. De nombreux murets s’étaient effondrés, entraînant la terre des
parchets. Les ceps déracinés gisaient sur les pentes ravinées, tels des
cadavres ou des blessés au lendemain d’une bataille. Les murets les plus résistants
disparaissaient sous la terre qui avait glissé d’un parchet sur l’autre. Les
sentiers étaient devenus ruisseaux, les gondoles [147] obstruées n’évacuaient
qu’un maigre filet d’eau.
    Assuré, comme autrefois son parrain Simon Blanchod, que
Belle-Ombre jouissait d’une protection spéciale du dieu Bacchus, Axel découvrit
avec soulagement que sa plus belle vigne, haut perchée, était à peu près
intacte. Le vent, pour marquer son passage, s’était contenté d’arracher la
tonnelle de glycine qui protégeait la petite terrasse des rigueurs du soleil. Belle-Ombre,
bien qu’elle fût une des plus vastes vignes de la commune de Chexbres, ne couvrait
que deux cent cinquante toises, soit une demi-pose, c’est-à-dire environ un
quart d’hectare. Mais c’est elle qui, depuis toujours, produisait le meilleur
vin. Les autres vignes des Métaz, les Paluds et le Grand’Vigne, avaient
souffert et, comme l’exprima Samuel Fornaz sans grande subtilité, « la
vendange prendrait tout juste le temps d’un déjeuner de soleil ».
    Axel jeta un regard peu amène à ce gaillard, qu’une
déception amoureuse avait rendu irascible et ivrogne. Il le conservait à sonservice par respect pour le vieux père Fornaz, dont Samuel était le seul
soutien.
    Après avoir donné des ordres et indiqué la manière de panser
ses vignes blessées, maussade et évaluant ses pertes, le Vaudois tint à
demeurer seul un moment dans sa maison des vignes, avant de regagner Rive-Reine.
La limpidité de l’air, le lac bleu indigo reflétant un ciel à peine plus clair,
le chaud soleil de juillet, fidèle à l’été un instant interrompu, les oiseaux
qui s’abattaient en piaillant, joyeux, sur les grappes qu’on ne cueillerait pas,
agaçaient le Vaudois. Un dieu hypocrite et moqueur voulait faire douter les
pauvres vignerons de la réalité du désastre, leur donner à penser que la tempête
de la veille n’avait été qu’un cauchemar collectif. Par chance, la thébaïde de
Belle-Ombre avait été épargnée.
    Quelques jours plus tard, M. Métaz apprécia que Marthe
Bovey compatît à l’infortune du vigneron. Elle le fit en termes choisis, prudents
et amicaux, s’interdisant les mots tendres, les apitoiements caressants qui
eussent révélé à son amant la force et la sincérité d’un

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