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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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succès,
« même une réussite pécuniaire ». La manifestation laissait un
bénéfice modeste de trois cent un francs mais la section lausannoise de la
Société helvétique de musique en sortait sans dette ! Le 19 août, un
rédacteur de la Veveysanne, tirant les leçons de cette fête fédérale de
la musique, confirmait certaines constatations énoncées par Alexandra. « Le
moment est venu de le reconnaître : le culte protestant a trop négligé
chez nous le secours de la musique. Elle n’a point avancé du même pas que la
prédication », écrivait le journaliste. Et il concluait : « Il
faut que la musique sacrée soit belle pour contrebalancer les chants énervants
du théâtre. Il faut que la musique guérisse les maux qu’elle a pu faire. »
    Ces phrases déplurent à Élise Métaz de Fontsalte. La jeune
femme déniait à la musique toute place au temple, au contraire de son mari, qui
dit partager l’opinion du journaliste, tout en regrettant, comme Martin
Chantenoz, la bigoterie niaise qui consistait à proposer la musique sacrée
comme antidote à l’opéra !
    — Avec de telles idées, les papistes ont beau jeu de
nous traiter de cuistres hypocrites, dit le professeur.
     
    L’abondante vendange de 1842, sa haute qualité firent
oublier la modicité de la récolte de l’année précédente. Ce fut une bénédiction
pour Lavaux où de nombreux vignerons s’étaient endettés afin de replanter leur
vigne en partie dévastée par la tornade de juillet 1841. Le char [161] se négociait maintenant entre quatre-vingt-dix et cent francs et les
quarante-six marchands de vin de Vevey se livraient à des surenchères pour
prendre des options sur les meilleurs crus qui seraient commercialisés en 1843.
    Le président de la Confrérie des Vignerons de Vevey fut le
premier à féliciter les propriétaires, dont les efforts méritaient récompense.
« La culture des vignes soumises à l’inspection de notre société offre
certainement, depuis quelques années, de notables améliorations. On les
reconnaît, surtout, dans celles où l’on a remplacé le système des provignures
par des plantations de chapons. On ne rencontre guère, comme jadis, des vignes
mal alignées, mal espacées, couvertes de souches informes, qui faisaient
regretter le sol qu’elles occupaient [162]  », dit-il, lors
de la remise des primes à cinquante vignerons qui, suivant le classement des experts,
reçurent de 30 à 6 francs.
    À Rive-Reine, le ressat fut des plus gais et un peu folâtre,
car les journaliers embauchés pour la vendange s’en retournaient chez eux avec,
en poche, un bon salaire.
    Comme toujours, on entendit évoquer, dans les conversations,
la mémoire de ceux qui avaient quitté la vie depuis la dernière vendange et, aussi,
les heurs et malheurs des vivants, naissances, mariages, drames et coups de
fortune, procès en cours pour un bornage ou un legs contesté, mérites de ceux
qui avaient gradé [163] dans la milice au dernier camp de Thoune.
    Martin Chantenoz, toujours prolixe à la fin d’un banquet, se
réjouit de l’élection à l’Académie française de Victor Hugo et s’apitoya sur la
disparition de Brummel, le fameux dandy, mort pauvre et abandonné, en France.
    Axel se souvint avoir entrevu cet ami de lord Moore en 1816,
à Calais, où il s’était réfugié pour fuir ses créanciers. Elizabeth Moore lui
avait rendu une brève visite avant d’embarquer pour l’Angleterre avec Janet et
son jeune amant vaudois. Ce souvenir de vingt-cinq ans lui mit le vague à l’âme.
Il se sentit soudain las, vieux étranger à son passé, dont il pouvait rappeler
les images mais non ranimer les sensations vécues. Ces instants, dilués par le
temps, puis figés par la mémoire, avaient un goût écœurant de soupe froide.
    N’existe-t-il de réalité que le moment présent ? »
se demanda-t-il.
    Il considéra les joyeuses tablées : les vendangeurs, à
qui bonne chère et vin donnaient du verbe et de l’audace, la main à l’assaut de
la taille des servantes émoustillées ; Élise, sa belle épouse aux formes
pleines, dont plus d’un devait lui envier la possession nocturne ; sa mère,
à qui il voyait pour la première fois la bouche froncée des vieilles femmes ;
Blaise, dont la toison intacte semblait faite de copeaux d’argent ; Chantenoz,
son vieux maître voûté, ratatiné comme une figue sèche, dont le regard, derrière
les lunettes insuffisantes, errait, sans voir, de

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