Romandie
professeur afin qu’Aricie pût participer à la
danse endiablée qu’une cécité quasi complète interdisait à son époux.
Si la vigne était, pour Axel Métaz, d’un bon rapport, les
sources minérales de Fontsalte, dont les eaux étaient maintenant mises en
bouteilles et livrées dans la Loire et les départements limitrophes, assuraient
aux Fontsalte de bons revenus. Tous les deux mois, Blaise et Charlotte
passaient une semaine à Fontsalte-en-Forez pour suivre les progrès de l’embouteillage,
qui avait nécessité la construction d’un atelier à proximité des sources et l’embauche
d’un contremaître et de plusieurs ouvriers.
Pendant les séjours foréziens, Charlotte jouait à la
châtelaine et recevait comme telle les propriétaires terriens à particule des
environs, amis d’enfance de Blaise. Certains de ces hobereaux enviaient une
réussite qualifiée d’industrielle, depuis qu’on chargeait, chaque jour, à la
gare d’Andrézieux, des centaines de bouteilles d’eau qui portaient, à travers
tout le sud-est de la France, le nom de Fontsalte, imprimé en grande anglaise
verte sur une étiquette blanche où l’on pouvait lire aussi « Eau
naturellement gazeuse et bicarbonatée. Elle est recommandée aux dyspeptiques
par la Faculté. Facilite la digestion ».
Axel avait obtenu qu’on vendît l’eau de Fontsalte dans une
épicerie de Vevey, rue du Panorama, où elle concurrençait maintenant les eaux
minérales de Duffoug-Favre et Forrer. Le commerçant proposait de l’eau de Vichy,
de l’eau de Seltz et fabriquait des limonades gazeuses au citron, à l’orange, à
la bergamote et, même, à la rose !
De jour en jour, la prospérité de Vevey s’affirmait. En plus
des touristes aisés, nombreux depuis l’ouverture de l’hôtel des Trois-Couronnes,
l’industrie se développait. La création des Ateliers de constructions
mécaniques [164] –
par le fils d’un charpentier qui avait quitté sa famille à dix-sept ans pour
faire un tour d’Europe éducatif, M. Benjamin Roy [165] – inaugurait,
au pays de Vaud, le travail des métaux. M. Roy croyait à l’avenir du fer
comme matériau de construction depuis qu’il avait vu, en Angleterre, en
Belgique et en Italie, tout ce qu’on fabriquait à partir de barres et de tôles
de ce métal. Il croyait aussi au chemin de fer, que la Suisse finirait bien par
adopter, comme tous les pays voisins. La première entreprise capable de fournir
des rails en quantité enlèverait des marchés importants. Il convenait donc de
se préparer à une production rentable. À vingt-quatre ans, Roy apparaissait aux
Veveysans comme un entrepreneur téméraire et le métallurgiste ne trouvait pas
aisément, auprès des banques locales, les concours financiers nécessaires. Axel,
au contraire de ses amis, estimait que cet homme, jeune et volontaire, étonnerait
ses concitoyens dont la méfiance à l’égard de toute nouveauté relevait parfois
de la lubie. N’avait-il pas, déjà mis au point une turbine à roue horizontale
qui augmentait sensiblement, par un meilleur brassage de l’eau, le rendement
des moulins et des scieries. Un autre artisan, devenu industrie. M. Lubach,
produisait maintenant dans ses ateliers plus de vingt mille paires de gants par
an, qui étaient expédiées à Genève, en France et, même, en Angleterre. On avait
aussi mécanisé la production des tuiles et Axel Métaz envisageait l’achat d’un
taille-pierre, inventé par un maçon zurichois, M. Pfister. Cette machine
mue par la vapeur, taillait le marbre comme la molasse et paraissait bien
meilleure qu’une machine semblable, utilisée par les Écossais dans les
carrières de Glasgow.
Toujours attentif aux applications réalistes du progrès,
M. Métaz n’hésitait pas à investir dans les entreprises nouvelles en
prenant ici et là, avec prudence et après s’être informé, des participations
dont il espérait tirer profit. Cette faculté qu’on lui reconnaissait de se glisser,
avant les autres, dans les bonnes affaires, en acceptant des risques calculés, il
la devait à son éducation. C’était la part de sagesse vaudoise instillée par
Guillaume Métaz, alliée, chez Axel, à la témérité atavique des Fontsalte.
Tôt le matin, deux semaines après la fête de la vendange, Louis
Vuippens se présenta à Rive-Reine, un grand paquet plat sous le bras. Axel, qui
travaillait seul dans son cabinet, ne cacha pas sa surprise de voir son ami
Weitere Kostenlose Bücher