Romandie
arboraient une
toilette neuve, leur cavalier ayant souvent abandonné la redingote pour le frac
et le pantalon à sous-pied, dont la mode se généralisait. Charlotte portait une
robe de satin broché lilas, décolleté ovale et manches longues, car elle
pensait qu’une femme de plus de cinquante ans doit cacher ses bras. Flora, qui
restait brune en dépit des années, avait choisi une robe de tarlatane et tulle
rose, à volants, garnie de blonde au décolleté. Aricie, plus stricte que ses
amies, était en taffetas gris perle, tandis qu’Élise, qui n’avait pas voulu
faire de frais, enlevait avec beaucoup de grâce une robe du soir, déjà portée, de
percale blanche aux décolleté rectangulaire et manches ballonnées, le bas de la
jupe étant agrémenté de deux bandes de broderie, que Charlotte qualifia de
démodées. Quant à Alexandra, dont c’était le premier grand bal, elle avait été
parée par la première couturière genevoise, celle de M me Laviron.
Sa robe de serge de soie beige rosé à motifs marron – encolure ronde, manches
longues et collantes surmontées d’un mancheron plat – mettait en valeur sa
minceur, son buste modeste mais haut et ferme. Elle lui valut beaucoup de compliments
des mères de fils à marier. Toutefois, parmi ces derniers, plusieurs, impressionnés
par la haute taille de la filleule de M. Métaz, renoncèrent à lui demander
une danse. Tandis qu’Alexandra valsait, rayonnante, dans les bras de son
parrain, Flora observa que la demoiselle avait choisi une coiffure à la Sévigné,
qui lui donnait dix ans de plus que son âge !
Cette nuit-là, le couple le plus remarqué fut celui formé
par le docteur Louis Vuippens et Zélia. La Tsigane, son opulente chevelure
brune relevée en un chignon retenu par deux peignes d’écaille, s’était
confectionné, elle-même, une robe où Axel vit une série de réminiscences
bohémiennes. Un corsage noir décolleté, aux manches pagode garnies de deux
volants constellés de fleurs rouges, une ample jupe noire ornée, dans le bas, de
trois volants identiques à ceux des manches et un fichu rouge, en pointe, broché
de motifs noirs et frangé de soie du même ton, composaient une toilette
insolite et aguichante, qu’aucune des demoiselles présentes n’eût osé porter.
Depuis leur jeunesse étudiante, Axel Métaz n’avait jamais vu
son ami Louis faire montre d’un tel entrain. Danser avec Zélia, habitée par
tous les rythmes, dont l’instinct animal, la frénésie et l’allégresse primitive
réclamaient un cavalier doué et résistant, constituait une sorte de performance
physique. On fut unanime à reconnaître dans le cercle Fontsalte que le médecin
s’en tirait admirablement, même s’il devait reprendre souffle entre deux
mazurkas !
Axel, qui souhaitait un aparté avec Zélia, l’invita pour une
valse lente.
— Tu n’as jamais été aussi belle, Zélia, dit-il
revenant au tutoiement qui était de règle chez les Tsiganes entre amis.
— Belle, je ne sais, mais heureuse, oui. Jamais je n’ai
été aussi heureuse que ce soir et c’est à toi que je le dois.
— La tribu, les grandes routes, Koriska ne te manquent
pas ?
— Peut-être est-ce moi qui leur manque, murmura la
Tsigane.
— Tu ne vas pas t’enfuir, quitter ce pays où tu as
trouvé la paix et une vie stable ? Tu n’as plus personne à servir chez les
tiens. Alors ? Alexandra m’a dit que tu voulais devenir herboriste. C’est
un beau métier, Zélia, qui permet de soigner ceux qui souffrent. Nous allons
tous t’aider à réussir. Vuippens le premier, dit doucement Axel.
Au nom du médecin, il sentit la main de Zélia se crisper sur
son épaule et des larmes apparurent dans les yeux noirs de la jeune femme.
— Ah ! Louis ! Sais-tu que je l’aime !
— Lui t’aime aussi… je crois, hésita Axel, craignant de
compromettre son ami.
— Mais il ne veut pas de moi, Axou. Non, il ne veut pas
de moi ! dit-elle avec rage, l’œil déjà sec et flamboyant.
— Mais je ne comprends plus ! Ne t’a-t-il pas
proposé le mariage ? s’étonna Métaz.
— Le mariage, oui, mais rien avant ! Il dit qu’il
y va de ma dignité. Il me respecte comme une fiancée ! Le mariage ! Tu
me vois, moi, la bohémienne, épouse du médecin de Vevey ! Mais trois jours
après, il n’a plus de malades à soigner, Louis ! On ne lui fait plus
confiance ! On le montre du doigt, le mari de la Jenisch !
— Ce sont des histoires
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