Romandie
Notre-Dame, des enthousiastes manifester, par des « ah ! » et
des « oh ! » intempestifs, leur admiration. Alexandra, qui n’était
pas de ceux-là, au contraire d’Élise et d’Aricie, glissa à son parrain qu’elle
avait, de beaucoup, préféré Rossini, ajoutant que, depuis qu’il s’était fait
luthérien, le compositeur des Romances sans paroles, pièces qu’elle
jouait avec tant de plaisir, s’essayait à la musique liturgique comme s’il
oubliait qu’il était l’auteur de la divine ouverture du Songe d’une nuit d’été.
— On dit cependant, ajouta-t-elle, que M. Mendelssohn
est en train d’écrire la suite de cette musique de scène, qui doit accompagner
la pièce de Shakespeare [160] .
Le lendemain, seuls les messieurs, sauf Chantenoz, se
rendirent au banquet, leurs épouses goûtant peu ces agapes populaires au cours
desquelles on devrait subir quantité de discours, où il serait question de
politique plus que de musique. Les organisateurs avaient cru bien faire en
dressant d’immenses tables de cent couverts sous la Grenette. Chaque tablée
avait à se partager quatre jambons, quatre langues fumées, quatre pâtés, six
plats de chapons rôtis, deux rosbifs, deux culottes de veau, des salades vertes
et italiennes, des tourtes. La municipalité offrait une bouteille de vin d’Yvorne
par convive.
Blaise et Axel racontèrent, plus tard, que le service avait
été fort déficient, qu’on ne trouvait ni eau ni sel, ni poivre ni moutarde et
qu’on avait dû manger tous les mets dans la même assiette !
Les deux généraux et Axel n’attendaient pas d’un tel banquet
des jouissances gastronomiques. Comme beaucoup de Vaudois, ils pensaient que le
radical Henri Druey, devenu président du gouvernement vaudois, profiterait de
ce rassemblement de confédérés pour développer ses thèses politiques, c’est-à-dire
le droit du peuple à la révolution, revendication démagogique qui inquiétait
tant les conservateurs encore majoritaires au Grand Conseil. Pour une fois, Druey,
que l’on disait maintenant dépassé par les plus avancés de ses amis radicaux, Kehrwand,
Cottier, Leresche, partisans d’une action révolutionnaire de type socialiste, ne
fit nulle allusion à lapolitique intérieure du canton. Son intervention
fut des plus formelles et sans aucune originalité de pensée ni de style. Le
tribun après avoir rappelé que la fonction de toutes les sociétés fédérales
était de « réunir en un seul et indissoluble faisceau », celui de la
nationalité suisse, « les peuplades des cantons si différents d’origine, de
langage, de religion, d’institutions et de mœurs », fit une seule allusion
aux dissensions persistantes, depuis l’affaire des couvents d’Argovie, entre
cantons catholiques, conservateurs, et cantons protestants, libéraux, dits régénérés.
« Ces réunions, dit-il, sont plus que jamais nécessaires au moment où la
Suisse est tellement divisée sous d’autres rapports. Ah ! si d’anciens liens
devenaient impuissants à maintenir l’union qui fait la force, du moins
aurions-nous déjà serré de nouveaux nœuds d’affection et préservé la patrie de
déchirements funestes. » Druey conclut par une série d’envolées lyriques
sur la musique. « Tout comme le chant des oiseaux semble le précurseur de
la voix humaine, ne dirait-on pas que cette divine harmonie, la musique tant
instrumentale que vocale, nous initie à la langue immortelle qui se parle dans
les cieux ? » dit-il avec chaleur.
— Ne manque que la bénédiction de M gr Yenni !
remarqua ironiquement Blaise, qui avait noté, comme tous les catholiques, l’absence
de l’évêque de Lausanne, Genève et Fribourg.
Quelques jours plus tard, le second concert public permit
aux auditeurs d’entendre la Symphonie concertante, de Wilhelm Maurer, un
fragment de Lucie de Lammermoor, de Donizetti, et Il Bravo, de
Mercadante. Ce fut un plein succès, orchestre et chœurs ayant atteint, hélas au
moment de se séparer, une meilleure homogénéité !
Mais ce qu’attendaient, sans le dire, la plupart des
bourgeoises, plus mondaines que mélomanes, était le grand bal de clôture, dit
bal constitutionnel. La municipalité lausannoise avait aimablement prêté la
Grenette, dont la salle décorée par le peintre Joseph Bonnat, un Français qui
enseignait le dessin à Lausanne, pouvait accueillir des centaines de danseurs.
Ce soir-là, toutes les femmes élégantes
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