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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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le
visiter à cette heure-là :
    — Tu as tué ton dernier patient ? demanda-t-il en
lui donnant l’accolade.
    — Ils sont solides, les bougres, pour résister à mes
soins ! répliqua le médecin, entrant dans le jeu.
    Puis il déposa avec précaution son paquet sur le bureau.
    — C’est un cadeau pour toi, Axel. Je l’ai rapporté de
Paris le mois dernier, quand je suis allé m’informer des nouvelles médications
contre le choléra, dit-il.
    — Un cadeau !
    Axel ôta prestement l’emballage et fit apparaître une
gravure encadrée. C’était une excellente reproduction d’un tableau d’Ingres représentant
Thétis, la belle néréide, future mère d’Achille, agenouillée à demi nue au pied
d’un Jupiter en majesté et lui caressant la barbiche. Dissimulée dans un nuage,
la jalouse Junon semblait suivre avec attention le manège de la nymphe.
    — Thétis était la plus belle des filles de Nérée et, si
je me souviens de ce que m’a enseigné Chantenoz, Jupiter eût volontiers cédé à
cette aguicheuse, sans l’intervention de Junon et de quelques autres.
    — Exact. Ingres a fait de Thétis une femme superbe mais,
en tant que médecin, je puis te dire qu’elle est goitreuse comme une Valaisanne…
Le reste est irréprochable.
    — Grand merci, mais pourquoi ce cadeau, Louis ? En
quoi l’ai-je mérité ?
    — Ah ! Je vais te dire, mon frère, c’est une sorte
de mise en garde… artistique.
    — Une mise en garde ! Que veux-tu dire ?
    — Je veux dire, ô vigneron jupitérien, que la belle, quoique
maigre, Alexandra est folle amoureuse de toi. Elle te regarde avec les yeux de
Thétis câlinant Jupiter. D’où mon présent. L’autre soir, au ressat, je l’ai
encore observée. Elle ne te quitte pas des yeux, avec cet air un peu niais que
le peintre à donné à sa néréide. Quand tu daignes lui sourire, son visage s’illumine.
    — Tu déparles, comme dirait Pernette !
    — Non, Axel. Et tu le sais. Cette petite t’aime depuis
le jour fatal de 1829 où sa mère s’est noyée et où tu l’as recueillie. Elle
avait sept ans. Ta Junon-Élise ne s’y est pas trompée. Elle a expédié la
fillette à Genève. Mais, aujourd’hui, Alexandra est une femme, Axel.
    — Bon, admettons ! Que veux-tu que j’y fasse ?
Je ne la rencontre que lors de mes séjours à Genève et je me garde d’encourager.
    — Ah ! tu vois que tu sais à quoi t’en tenir, veinard !
    — Veinard ! Dis plutôt malchanceux. Je ne peux
tout de même pas mettre ma filleule dans mon lit pour lui faire plaisir, dit
Axel, agacé.
    — En général, quand on met une femme dans son lit, filleule
ou pas, c’est toujours pour lui faire plaisir ! Mais, trêve de
faux-fuyants Alexandra est malheureuse : elle me l’a dit.
    — Elle t’a dit qu’elle est amoureuse de moi et
malheureuse ! À toi !
    — Mon vieux, les papistes se confessent à leur curé, les
protestantes, à leur médecin !
    — Et qu’a-t-elle dit ? s’enquit Axel, se souvenant
du baiser des Pâquis.
    — Elle a su je ne sais comment, par Anaïs Laviron sans
doute, qui a accompagné Élise chez des médecins genevois, que toi et ta femme
ne pouvez plus coucher ensemble. Alors, tu penses, elle est candidate pour
jouer les doublures !
    — C’est insensé !
    — C’est touchant, veux-tu dire. Elle m’a même confié qu’elle
te réserve sa virginité. Elle a ajouté, avec un air farouche : « Lui
ou personne ! » C’est-y pas beau comme une tragédie grecque ! acheva
Louis en riant.
    — Dieu merci, j’ai Marthe, qui se comporte exactement
comme je le souhaitais, assez égoïstement je dois le reconnaître. Les sens apaisés,
je suis à l’abri d’un désir soudain de femme, qui pourrait me conduire à faire
des bêtises avec Alexandra. Désormais, je la tiendrai à distance. Et, au besoin,
comme elle est discrète, je lui dirai que j’ai une maîtresse, comme ça…
    — Ah ! tu me plais ! On peut dire que tu connais
les femmes ! D’abord, je t’ai parlé sous le sceau du secret médical, et tu
ne dois même pas laisser entendre à ta filleule que je t’ai parlé d’elle et
fait la moindre confidence. Ensuite, je te déconseille fortement de lui révéler
l’existence de la belle rousse. Alexandra irait lui jeter un verre de vitriol à
la figure que ça ne m’étonnerait pas outre mesure ! Tu ne sais pas ce dont
est capable la femme la plus sensée quand elle croit avoir perdu toutes

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