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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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paralysé des quatre membres et ses fonctions de nutrition seraient
fortement altérées. Alors, courage. Veillez-le, je reste à côté. Et si le
moindre mouvement se produit, appelez-moi.
    — Mais tu ne peux donc rien faire ! Pas de remède,
rien ! dit Charlotte, véhémente.
    — Je vais préparer une solution de calomel et nous
tenterons de la lui faire avaler. Surtout, ne le déplacez pas, ne lui soulevez
ni la tête ni même un bras, ajouta-t-il, avant de quitter la pièce avec Axel,
Blaise et le médecin.
    À peine les quatre hommes étaient-ils descendus au salon que
Charlotte les rappela.
    — Venez vite. Il a l’air de se détendre, cria-t-elle
dans la cage d’escalier.
    Vuippens eut un regard pour Axel que ce dernier interpréta aisément.
Tous gravirent les marches prestement.
    Vuippens posa sa main sur la poitrine de Martin, tandis que
son confrère cherchait le pouls du blessé. Axel sut, avant que Louis ne l’annonçât
d’une voix enrouée par l’émotion, que son vieux maître venait de le quitter à
jamais. Les traits maintenant détendus, libéré de toute souffrance, comme
rajeuni, Martin Chantenoz semblait exhiber, comme un défi à la mort, le sourire
narquois du sceptique qu’il avait toujours été. Tandis que Blaise et Louis emmenaient
Aricie, soudain défaillante, et Charlotte en pleurs, Axel s’approcha du lit et
baisa tendrement le front de son mentor.
    Trois jours plus tard, au cimetière Saint-Martin à Vevey, sous
la pluie froide de novembre, on mit en terre le professeur, poète méconnu sauf,
autrefois, de quelques grands maîtres comme Goethe et Byron.
    Le matin même, lors d’une cérémonie sollicitée par l’Académie,
à la cathédrale de Lausanne, on avait entendu plusieurs oraisons funèbres, prononcées
par d’éminents collègues du défunt mais, au moment de l’inhumation, seuls les
membres du cercle Fontsalte entouraient la tombe qu’Axel fit recouvrir d’une
simple dalle de granit. Quand le pasteur Duloy eut donné la dernière
bénédiction à son vieil ami, Axel, dominant son chagrin, récita d’une voix
ferme une épigramme funéraire que Martin Chantenoz avait fait, en d’autres
temps, traduire du grec, non sans peine, à son élève. Le disparu, comme
Sainte-Beuve, la considérait comme « une des plus gracieuses » de
Léonidas de Tarente.
    — « Ô tertre, de quel mort dans la nuit tu caches
les os ! Quelle tête, ô terre, tu as engloutie ! Le bien-aimé des
Charités blondes, un grand objet pour toutes les mémoires : Aristocratès. Il
savait, Aristocratès, tenir au peuple d’agréables discours, sans s’attirer, lui,
noble, des sourcils contractés ; il savait aussi, dans les libations de
Bacchos, diriger sans querelle le babil en commun qu’entretiennent les coupes ;
il savait au milieu des étrangers comme de ses compatriotes, se montrer plein d’accueil.
Ô terre aimable, tel était l’homme que tu possèdes mort ! »
    Tous les assistants, bien sûr, avaient spontanément remplacé
le nom de l’Athénien par celui de l’ami qu’ils pleuraient.

3
    Au jour de l’An 1843, le deuil resserra, autour d’Aricie, le
cercle Fontsalte. Le souvenir des fêtes passées en compagnie du professeur
rendit encore plus douloureuse son absence. On ne fit, au cours du repas
traditionnel, servi à Rive-Reine, que rappeler ses boutades, citer ses
aphorismes, évoquer ses diatribes contre la bêtise des contemporains et les
théories fumeuses d’intellectuels révolutionnaires qui se prenaient pour
nouveaux guides du peuple.
    M me  Chantenoz maîtrisait son chagrin et
supportait avec dignité son veuvage, bien qu’elle se reprochât encore d’avoir, lors
du fatal séjour à Lausanne, où le couple avait conservé un pied-à-terre, laissé
Martin seul un moment à l’Académie. Basil, le fidèle valet anglais, dont les
attentions avaient souvent agacé le défunt professeur, connaissait mieux que
tous le désarroi caché d’une femme qui avait su rester, dans la vie conjugale, la
maîtresse autrefois élue avec passion par Martin Chantenoz. Chaque soir, le
domestique et sa maîtresse priaient ensemble pour le repos de l’âme d’un homme
que Basil vénérait, bien que le professeur n’eût jamais évalué la qualité d’un
attachement sincère et exempt de servilité. Lors des nuits sans sommeil, Aricie
mettait de l’ordre dans les papiers de son mari, destinés à Axel, l’ancien
élève devenu disciple préféré.
    Martin

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