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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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de quelqu’un de mes relations, dit-il, dissimulant son trouble.
    — En tout cas, il n’y avait pas de message sous la
porte quand je suis entrée au moulin, compléta-t-elle, tandis qu’Axel lui ôtait
son manteau, tirait ses gants et commençait à déboutonner sa blouse.
    Il ne put s’empêcher, entre deux étreintes, de s’interroger
sur cette femme voilée, apparue pour la troisième fois sur son chemin. Car la
description de Marthe ne laissait aucun doute, l’étrange équipage était bien
celui qu’il avait croisé à Lausanne, lors du tir fédéral de 1836, et l’an
dernier, à Saint-Saphorin, une nuit d’hiver. Même s’il avait admis que les deux
premières apparitions n’avaient eu, en fait, aucun point commun et relevaient d’une
réminiscence hallucinatoire établissant des ressemblances qui n’existaient pas,
le récit de Marthe réduisait l’explication à néant. La mystérieuse femme voilée
à la voiture noire s’était montrée en plein jour, près de son moulin, à celle
qu’il était censé aimer. S’il advenait qu’une autre rencontre se produisît, il
ferait tout pour arrêter la berline noire et interroger sa passagère.
     
    La grande réception prévue, à Genève, chez les Laviron, pour
célébrer, le 22 novembre 1842, les vingt ans de leur fille adoptive, avait
été reportée, à la demande d’Alexandra, dès l’annonce du décès de Martin
Chantenoz. La nouvelle date retenue, le 21 mars 1843, avait été choisie
par la jeune fille et Anaïs Laviron. Ce jour-là, Pierre-Antoine Laviron aurait
soixante-dix ans et inaugurerait, entouré d’amis et de confrères, les nouveaux
bureaux de sa banque privée, rue de la Corraterie. Au cours de l’année écoulée,
il avait acquis une des neuf maisons construites, entre 1827 et 1832, sur les
plans de l’ingénieur cantonal Guillaume Henri Dufour, alors colonel fédéral, et
de l’architecte Samuel Vaucher. Le vieil immeuble, proche de la tour Thelusson,
dont la banque occupait depuis le commencement du siècle le rez-de-chaussée et
l’entresol, n’offrait aucune possibilité d’extension et les locaux, trop exigus,
ne suffisaient plus pour abriter l’une des plus importantes banques privées de
la ville. Le nombre et la qualité des clients, suisses ou étrangers, qui
confiaient leurs avoirs à la banque Laviron-Cottier exigeaient que l’on
conservât l’adresse la plus prestigieuse de Genève et qu’on y aménageât, dans
le cadre cossu d’une résidence moderne, des bureaux et des salons d’accueil confortables,
où se dérouleraient les entretiens les plus confidentiels.
    Depuis le commencement de l’année, Genève avait vécu des moments
agités. Les radicaux, déçus de n’avoir pas accédé au pouvoir par le suffrage universel
réclamé à grands cris, avaient tenté, au cours de la nuit du 13 au 14 février,
de le conquérir par force et violence. Mais le gouvernement, démocratiquement
installé, avait ramené les émeutiers à la raison.
    La Constitution, adoptée au suffrage universel par le peuple
genevois en juin 1842, avait institué ce que les libéraux modérés et les radicaux
eux-mêmes demandaient depuis longtemps : une démocratie représentative. Avec
ses cent vingt-trois articles, la Constitution nouvelle proclamait la
souveraineté du peuple, garantissait les libertés individuelles, celles de la
presse et de l’enseignement, autorisait la création d’industries et de
commerces, confirmait l’inviolabilité du domicile et de la propriété privée, octroyait
aux citoyens le droit de pétition et les rendait, enfin, tous égaux devant la
loi. Un Grand Conseil, composé de cent soixante-seize membres, élus pour quatre
ans, au suffrage universel, exerçait le pouvoir législatif, et le Conseil d’État,
véritable gouvernement de la République, composé de treize membres, détenait le
pouvoir exécutif, avec droit d’initiative et de veto suspensif si une
proposition émanant du Grand Conseil n’était pas approuvée. Le Conseil d’État
avait autorité sur l’armée, la police, les tribunaux, l’instruction publique et
les cultes. C’est le gouvernement qui approuvait ou refusait la nomination des
curés de l’Église catholique.
    Les premières élections au suffrage universel avaient été
favorables aux conservateurs, qui avaient enlevé quatre-vingt-onze des cent
soixante-seize sièges au Grand Conseil, les radicaux ne comptant que
trente-deux élus, dont Fazy et les

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