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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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qu’il
cotisait par courtoisie et non par goût de la société qu’on y rencontrait. Là, Axel
apprenait toutes les préoccupations des commerçants veveysans. Ceux-ci se
félicitaient du percement des nouvelles rues des Chenevières et du Clos, qui conduisaient
de l’entrée orientale de la ville à la rue du Panorama, même si certains
soutenaient qu’on aurait dû épargner la vieille porte de Bottonens, dernier
vestige des remparts, abattue par les agents voyers. Un membre, qui avait des
intérêts chez les fruitiers de la Gruyère, proposait que tout ce qui faisait commerce
de fromage au pays de Vaud s’unît en une société, comme venaient de le faire, en
France, les fabricants de fromage de Roquefort en créant une marque unique, Roquefort
Société. Ce groupement avait vendu, l’année précédente, 75 000 quintaux
de fromage et comptait doubler les ventes en dix ans !
    On parlait aussi de l’arrivée, à Vevey, d’un nouvel épicier,
M. Henri Nestlé, qui, dans sa modeste boutique ouverte « en Rouvenaz »,
vendait une moutarde de sa fabrication, propre à rivaliser avec celle de Dijon,
que l’on consommait depuis la fin du XVIII e  siècle.
On trouvait aussi chez lui des graines, les nouvelles lampes à pétrole, des
engrais artificiels, et les gens informés rapportaient qu’il allait fabriquer
du gaz liquide. Personne n’eût pris cette information au sérieux si ce célibataire
de vingt-neuf ans, fils d’un vitrier de Francfort-sur-le-Main, n’était entré en
amitié, dès son arrivée à Vevey, avec le savant botaniste Jean-Baptiste
Schnetzler, professeur d’histoire naturelle au collège de la ville.
    Axel avait même perdu, un temps, l’envie de voir sa
maîtresse et, quand il s’en fut à Lausanne relancer la discrète Marthe Bovey, il
apprécia que la jeune femme lui fît des condoléances. Elle avait été informée
par les journaux et par des amis de l’Académie du décès accidentel et brutal du
professeur Chantenoz et savait combien son amant était attaché à cet homme. Deux
semaines après ces retrouvailles, quand il rejoignit une nouvelle fois Marthe
au moulin sur la Vuachère, où les amants se rendaient séparément, Marthe conduisant
un coupé qu’elle dissimulait dès son arrivée sous un hangar attenant au moulin,
il trouva sa maîtresse anxieuse, presque apeurée.
    — Tout à l’heure, quand je suis arrivée, j’ai vu du
bout de l’allée, sous les arbres, une voiture noire, arrêtée devant le moulin. Ce
n’était pas la vôtre. J’ai donc rebroussé chemin et suis retournée sur la route
d’Ouchy, au-delà du carrefour et j’ai attendu. L’attente ne fut pas longue et j’ai
vu venir la voiture, une belle berline lustrée à souhait. Elle était conduite
par un cocher énorme, statufié aurait-on dit. Un vrai géant, barbu, avec des
cheveux longs et noirs, vêtu d’une houppelande brune, qui descendait jusqu’à la
croupe du cheval. Le cheval aussi était noir, une robe de jais, et démesurément
grand. Une race inconnue chez nous, sans doute. De loin, j’avais d’abord pensé
à une incursion de votre épouse. Peut-être avait-elle découvert nos relations
et voulait-elle se rendre compte de ce qu’il en était. Mais la vue de cet
équipage étranger m’a rassurée. Enfin, m’a d’abord rassurée, parce que après…
    — Après, quoi, que s’est-il passé ? interrompit
Axel, presque brutal.
    Marthe ne tint pas compte de cette vivacité. Femme de
sang-froid, elle reprit le fil de son rapport :
    — Je pensais que la voiture, au débouché du chemin, tournerait
du côté d’Ouchy, aussi m’étais-je arrêtée sur le chemin en direction de Lutry. Mais
c’est la direction que prit l’équipage et, au passage, j’ai vu dans la voiture
une femme voilée de noir, mais complètement voilée. Je ne lui ai vu que les
yeux, car elle aussi m’a regardée Oh ! Axel, quel regard ! Un regard
de désespérée, mais un regard comment dirais-je, un regard de pierre, oui, presque
des yeux de statue antique, vous savez ces pupilles de lapis-lazuli, d’émeraude
ou d’onyx que les sculpteurs grecs mettaient dans les orbites de leurs déesses.
Vous voyez ce que je veux dire, n’est-ce pas ?
    — Je vois. Mais ne vous inquiétez pas, Marthe, ce sera
quelque touriste étrangère, qui aura voulu voir où conduit ce chemin. Savez-vous
qu’autrefois il y avait une auberge par ici ? Les vieux guides la citent. Rassurez-vous,
il ne s’agit pas

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